A voir en ligne | Critique : Angelo

Au début du XVIIIe siècle, une comtesse européenne choisit un esclave africain pour être baptisé et éduqué.

Angelo
Autriche, 2018
De Markus Schleinzer

Durée : 1h51

Sortie : disponible en e-cinéma

Note :

ANGE DÉCHU

7 longues années séparent Michael, premier long métrage de l’Autrichien Markus Schleinzer, de son nouveau film, Angelo. Michael, l’une des révélations de la compétition cannoise de 2011, racontait la vie commune forcée d’un pédophile et d’un garçon de 10 ans. Angelo, avec son tout jeune héros emmené de l’Afrique jusqu’en Europe par une comtesse afin d’y être baptisé et éduqué, parle lui aussi d’un jeune garçon et d’une vie qu’il n’a pas choisie. Tout semble différent par rapport au précédent film du cinéaste, du décor à l’époque. Mais il y a à nouveau chez Schleinzer cet art, par sa façon d’expulser de l’écran les scènes les plus dramatiques, de mettre en scène la violence de la façon la plus insidieuse.

Le début d’Angelo est filmé à distance, une distance que le réalisateur invite les spectateurs à prendre. On en revient aux pensées sans rails d’Hannah Arendt que Schleinzer citait au sujet de Michael. Angelo ne fait pas le récit didactique d’un martyr. Les ellipses cumulées et les sauts dans le temps construisent peu à peu l’histoire d’Angelo, ses lumières et ses ombres. Le film semble d’abord être un vrai film d’époque : la reconstitution historique est extrêmement minutieuse, méticuleuse, qu’il s’agisse de la direction artistique, de l’utilisation de la lumière ou du choix de la langue. Mais plus le film parle d’hier, plus il parle d’aujourd’hui. Et lorsqu’on dit au jeune héros noir « tu vas devenir un être humain », on ne sait plus s’il s’agit d’une étrange promesse ou d’une vraie menace.

Dans ce manoir hanté, on apprend à Angelo à jouer de la flûte – on serait presque tenté de dire du pipeau puisqu’on le verra plus tard raconter des « histoires d’Afrique » qui semblent apprises par cœur. On trébuche parfois sur les mots de la récitation dans ce film où il est beaucoup question de mise en scène. C’est par exemple la mise en scène d’un spectacle dont les protagonistes portent des masques noirs. C’est la mise en scène d’une Afrique peinte au mur et qui ressemble à un décor de fantasy. « L’Afrique est une fiction », faisait dire le Tchadien Mahamat Saleh Haroun à l’un de ses personnages dans Une saison en France. Schleinzer poursuit cette pensée avec ce film où un gamin déraciné, devenu européen, vit dans une société où l’Afrique est une fiction de Blancs.

Dans Angelo, les Blancs se mesurent à Dieu tandis que les Noirs sont des créatures de Satan. Le film montre, malgré les belles manières, les jolies perruques et les étoffes colorées, la violence du colonialisme, de l’exploitation, de la mise en scène et de la réécriture de l’Histoire. Angelo, invité à la cour des rois, est noir, et le monde d’hier pourtant ne le traitera, malgré les apparences, jamais autrement que comme un sauvage ou un objet (lors d’une scène stupéfiante de promenade bucolique qu’on ne peut vous dévoiler). Le temps file et la chute du pantin Angelo semble sans fin, comme dans un conte ou une fable. Mais le film décrit avec intelligence et honnêteté quelque chose de bien réel, d’aujourd’hui, un racisme qui, même poudré et sous les dorures, reste un racisme.


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par Nicolas Bardot

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