TIFF 2024 | Critique : Toll

Suellen est agente de péage et découvre qu’elle peut utiliser son travail pour collecter de l’argent illégalement. Elle a en tête ce qu’elle imagine être une noble cause : envoyer son fils homosexuel subir une coûteuse thérapie de conversion, dirigée par un prêtre renommé.

Toll
Brésil, 2023
De Carolina Markowicz

Durée : 1h42

Sortie : –

Note :

LES MEILLEURES INTENTIONS

Toll, soit péage en anglais, c’est le lieu de travail pas très follichon de Suellen, condamnée depuis sa cabine à voir tout le monde sauf elle filer en voiture vers de plus beaux paysages, des cieux moins gris. Ses usagers ne sont pas tous polis, comme si seuls les cons avaient le droit de passer ce précieux péage vers un ailleurs. Pourtant Suellen (excellente Maeve Jinkings, déjà vue pusieurs fois chez Kleber Mendonça Filho et récemment dans Sans cœur) est une bonne personne, ou du moins est-elle persuadée de l’être. Alors pourquoi la barrière symbolique qui la sépare d’une vie de famille plus apaisée demeure-t-elle invariablement baissée, quand Suellen est convaincue d’avoir fait l’appoint en bonnes actions et gestes pieux ?

Suellen traine à ses basques un fiancé bon à rien et un grand fils qui a davantage l’air d’avoir les pieds sur terre. Or, catastrophe pour maman : dans l’intimité de sa chambre, fiston aime le rose, les paillettes et le maquillage, et rien que ça emplit l’héroïne de « davantage de honte en une journée que la plupart des mères vivent en toute une vie ». Ceux qui ont eu la chance de voir le mordant Charcoal, le précédent film de la réalisatrice Carolina Markowicz (lire notre entretien) hélas encore inédit en France, savent que sa peinture de la société brésilienne hypocrite obéit à un malicieux mélange de réalisme et de folie. « L’absurdité est devenue notre quotidien, qu’on le veuille ou non ».

La ville industrielle où se déroule l’action de Toll est une zone anonyme perdue dans la nature, faite d’usines et d’échangeurs d’autoroutes. L’image au grain épais traduit d’ailleurs efficacement l’atmosphère étrange de ce lieu, qui n’a décidément rien d’un coin de paradis. Pourtant Dieu est partout. Il est présent dans toutes les conversations et même dans les code Wi-Fi. Il dicte les rituels quotidiens situés plus ou moins haut sur l’échelle de l’absurdité. Après avoir allumé une bougie de virilité sur une colline à 5 heures du matin (premier échelon zinzin) Suellen apprend qu’à l’occasion du « mois arc-en-ciel de lutte contre la pederastie » (deuxième échelon) va avoir lieu une session de thérapies de conversion aux méthodes pas banales (dont on ne spoilera pas les échelons sans limites, mais ceux-ci valent le détour). C’est presque un miracle, Suellen imagine déjà son fils guéri, et tant pis si elle doit racketter les usagers du péage pour pouvoir payer la thérapie.

Carolina Markowicz fait preuve d’un délicieux humour grinçant au moment de plonger ses personnages dans une panique morale disproportionnée. Mais elle sait arrêter sa cruauté à temps pour maintenir la dignité de son héroïne, elle aussi victime de la société qui l’entoure. En famille, au travail, dans la société toute entière, les personnages de Toll sont contraints de cohabiter comme dans une cellule de prison. Il y a là de quoi rire, même si Markowicz fait le choix de clore son film sur une note à l’acidité féroce.

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par Gregory Coutaut

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