Festival National du Film d’Animation | Entretien avec Stephen Vuillemin

Une jeune femme découvre des films d’animation sur internet qui ont visiblement été créés à partir de ses propres selfies, et ceux-ci ont été conçus par une mystérieuse homonyme. Voici l’intrigant point de départ d’Un genre de testament de Stephen Vuillemin, qui fut l’une des pépites découvertes dans la sélection court métrage de la Berlinale. Ce film incroyable, projeté cette semaine au Festival National du Film d’Animation de Rennes, est peuplé de visions aussi violentes que perturbantes. Stephen Vuillemin est notre invité.

**Quel a été le point de départ de Un genre de testament ?**

En 2016, j’ai eu 30 ans, et je suis passé par une sorte de crise existentielle. Les sorties et divertissements m’amusaient beaucoup moins qu’avant, j’avais l’impression de perdre mon temps. J’ai donc décidé de mettre mon temps libre dans la création d’un film plutôt qu’ailleurs. J’ai commencé tout seul, sans budget et sans équipe. Je travaillais déjà comme animateur et illustrateur, j’avais donc le savoir faire nécessaire pour faire un film seul. C’était juste très lent ! Mais il y avait quelque chose de très positif dans cette lenteur, c’était qu’il n’y avait aucun stress, et surtout, pas de deadline comme dans un contexte de production classique, je pouvais donc continuer d’améliorer chaque idée, chaque image, chaque animation, jusqu’à satisfaction totale !

En 2021, la situation avait changé : mon film était bien avancé, il était devenu « montrable » (c’est un film difficilement racontable), j’étais revenu en France, et le studio Remembers commençait à faire parler de lui. Je commençais à me fatiguer, et le partenaire idéal pour m’aider à terminer mon film était là ! Remembers a été monté par Ugo Bienvenu et Félix de Givry, eux-mêmes réalisateurs, qui appartiennent à la même génération que moi, et qui soulèvent des montagnes pour défendre une certaine animation d’auteur.

Au moment où j’avais commencé mon film, aucun studio comparable n’existait (et il n’en existe toujours pas). Je suis très content d’avoir pu terminer mon film avec eux et avec l’équipe d’animateurs incroyable qu’ils m’ont permis de rencontrer. Pour revenir à la question, le point de départ a donc été d’avoir 30 ans, de sentir le temps passer, et de vouloir utiliser celui qui reste pour faire ce film.

Qu’est-ce qui vous a amené vers cette palette de couleurs qui mêle nuances de gris et couleurs vives ?

Je développe ces palettes dans mes illustrations, mes animations et mes bd depuis la fin de mes études (je suis sorti des Gobelins en 2008). Ça résulte de ma façon de travailler (je n’utilise pas de superpositions de couleurs ni de modes de fusion), de la hiérarchie de mes centres d’intérêt (je suis plus intéressé par le costume que par la lumière, j’essaie donc de montrer la couleur des vêtements des personnages sans filtre), et d’un goût pour une forme d’opulence (j’essaie de faire cohabiter un maximum de couleurs différentes dans une même image). Dans la mesure où j’utilise beaucoup de couleurs, dont des couleurs très franches, c’est un jeu très intéressant de créer des harmonies et des contrastes dans ces conditions, c’est plus difficile qu’avec des palettes plus limitées.

Pouvez-vous nous parler de l’utilisation de la voix-off dans votre film ?

Mon idée de départ était aussi simple que ça : je voulais utiliser une voix-off. Là aussi, je cherchais une forme d’opulence, en utilisant tous les canaux d’information possibles. Je voulais utiliser ce canal pour ses propriétés propres, en lui faisant communiquer un type d’information qui ne pouvait pas passer sur le canal ‘images’ ; c’est comme ça que j’en suis arrivé à ce système de fictions imbriquées : les images racontent des histoires, et la voix off, en commentant ces images, leur offre un contexte, dont on ignore si c’est une autre fiction ou si c’est la réalité – ces images seraient l’œuvre de telle personne, elles auraient été dessinées dans tel contexte.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

David Lynch bien sûr, mais je suis aussi un grand fan de Pasolini (en particulier Les Mille et une nuits, un de mes films préférés), Wong Kar-wai, Jia Zhangke, Hong Sangsoo et Chris Marker. Quand j’ai commencé à réfléchir à Un genre de testament, j’avais en tête Level Five de Chris Marker, qui fait un pont entre fiction et documentaire d’une façon complètement acrobatique, hallucinante.

Dans mon film, beaucoup d’idées viennent de mon vécu un peu déformé, mais l’histoire du chien qu’on refuse d’euthanasier a été empruntée au très beau film Heart of a Dog de Laurie Anderson. Côté animation, je suis un dévot de Miyazaki et de Takahata. J’aime aussi beaucoup Satoshi Kon, et il y a probablement un peu de son Perfect Blue dans mon film.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

J’ai beaucoup aimé le film 8 de Anaïs-Tohé Commaret qui était présenté à la Berlinale avec le mien. Sinon je vais citer des gens qui sont déjà ici depuis quelque temps, mais dont le travail ne cesse de m’épater : Kevin El Amrani et ses films, Jonathan Djob Nkondo et ses animations, la marque Samuel Gui Yang, en mode également Kerhao Yin (qui a choisi les tenues dans mon film), Zixin Zhong… et bien sûr, je suis aussi très impressionné par ce que font mes tous camarades chez Remembers, je suis très fier d’appartenir a cette équipe.