Entretien avec Samira Elagoz & Z Walsh

Remarqué dans l’excellente sélection de courts métrages au Festival de Rotterdam, You can’t get what you want but you can get me du duo Samira Elagoz & Z Walsh est sélectionné cette semaine au Festival Hot Docs à Toronto. Cet enchainement de photos, selfies et captures d’écran épousant la chronologie d’une histoire d’amour entre deux mecs trans (les deux cinéastes eux-mêmes) pourrait sur le papier ressembler à une simple soirée diapo privée, mais l’humilité de ce bricolage queer qu’on croirait confectionné en direct sous nos yeux et la puissance que prennent ces images intimes et rares sur grand écran font de cette vignette documentaire un sommet d’émotion. Samira Elagoz & Z Walsh sont nos invités de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de You can’t get what you want but you can get me ?

Samira : Z et moi avons fait carrière séparément en allant chez des inconnu.e.s avec nos appareils, Z les photographiant et moi les filmant. Depuis près de dix ans, nous nous sommes tous les deux plongés dans la recherche sur les dynamiques de genre et le regard féminin et queer. Tout mon travail consiste à rencontrer des inconnu..e.s et à travailler avec elleux. C’était en fait la première fois que je rencontrais quelqu’un sans avoir l’intention d’en faire le portrait avec ma caméra. L’idée de départ n’était donc pas du tout de travailler avec et à partir de Z. Mais lors de notre rencontre à Berlin, Z a immédiatement commencé à prendre des photos de moi et de nous. Je ne m’attendais pas à ça. Finalement, quelqu’un a pointé la caméra vers moi au lieu de l’inverse.

Z : J’ai pensé que tout était si spécial dès le début que je voulais juste avoir ces photos comme souvenir pour moi. Mais une fois que j’ai commencé à regarder les photos, leur sens est devenu quelque chose de plus que personnel. Les hommes trans qui tombent amoureux les uns des autres sont presque complètement invisibles. Les histoires sur la masculinité trans sont souvent racontées du point de vue d’autres identités ou en relation avec elles. Cet amour n’est pas montré comme quelque chose qui pourrait se suffire à lui-même, et nous n’avons pas vraiment l’occasion d’être les personnages principaux. En tant qu’hommes trans, nous sommes ciblés toute notre vie par l’effacement presque complet de nos propres existences. La seule façon de lutter contre cela est de raconter nos propres histoires, avec toute leur complexité et leur beauté.



Comment avez-vous sélectionné toutes les images personnelles qui composent votre film ?

Z : Le processus de sélection s’est fait de manière très organique. Le diaporama est une rencontre de nos deux styles. Ma force, c’est d’avoir de l’impact avec une seule image et celle de Sam est de les organiser en une histoire.

S : Il y avait des milliers de photos, il a donc fallu beaucoup de temps pour les choisir. J’ai travaillé principalement avec le cinéma et le théâtre auparavant. L’image en mouvement offre plus d’espace pour raconter une histoire et créer une dramaturgie. C’était donc un défi de créer un scénario qui s’appuie uniquement sur des images fixes pour transmettre un récit. J’avais presque l’impression que chaque photographie était une scène de film à part entière. Comme si elles avaient chacune besoin de s’appuyer sur la précédente ou d’apporter quelque chose que nous n’avions pas encore vu.



Pouvez-vous nous en dire plus sur les choix musicaux que vous avez faits pour accompagner le film, et ce qu’ils signifient pour vous ?

S & Z : Être des fanboys, ça a été l’une des premières choses sur lesquelles nous nous sommes liés. C’était super romantique de partager la musique qui a fait de nous ce que nous sommes, et nous plaisantions en disant que le fanboyisme est le sixième langage de l’amour. Les chansons que nous avons choisies pour ce film sont parmi les premières chansons que nous avons partagées. La bande-son semble avoir un impact puisque nous recevons d’innombrables messages sur Instagram de personnes demandant les noms des chansons.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Z : Harmony Korine, Jordan Peele et Nathan Fielder sont des cinéastes que je respecte beaucoup. J’ai récemment découvert les documentaires de Rachel Fleit que j’ai adorés. Mais pour être honnête, pour moi, la plus haute forme d’art est la télé-réalité. Je suis très inspiré par les producteurs de télé-réalité comme Alex Baskin et Elan Gale.

S : Je suis rarement inspiré par les œuvres d’autres cinéastes, mais j’ai une forte appréciation pour eux. Je décrirais les choses que j’aime comme le mélange parfait de bon et de mauvais goût. Comme Kubrick et Tom Green dans un seul paquet. L’un des favoris récents est Michaela Coel et l’un des favoris de longue date est Peter Greenaway.



Quel est votre point de vue sur les représentations trans et les histoires trans au cinéma ?

S & Z : Les histoires stéréotypées trans sont faites par et pour les personnes cisgenres, à consommer comme éducation, explication et divertissement. Les tropes courants dans les médias présentent les personnages trans comme incroyablement sains, ou comme des contes édifiants. Nous pensons que la prochaine étape pour l’art trans n’est pas seulement de raconter des histoires horribles, ou au contraire d’être trop positif et galvanisant, mais quelque chose qui se situerait entre les deux. Ce qui manque, ce sont les histoires de personnes trans qui vivent des vies ordinaires et des vies remplies d’amour.


Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 avril 2024. Un grand merci à Tytti Rantanen.

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