Toute cette semaine, le Festival New Directors New Films qui se déroule à New York sera à suivre sur Le Polyester. Notre invité de ce Lundi Découverte est le réalisateur franco-américain Nelson Bourrec Carter, dont le court métrage Levittown fait partie de la sélection. Dans ce film, on suit un jeune homme qui traverse le quartier résidentiel de Levittown, première banlieue américaine, animé par un monologue aux répliques familières. C’est un court métrage porté par un sens du mystère et de l’étrange, signé par un jeune cinéaste prometteur que nous avons voulu rencontrer.
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Quel a été le point de départ de Levittown ?
Levittown est né de plusieurs éléments. En premier, la fascination pour cet endroit réel, Levittown, qui a la particularité d’être la première banlieue Américaine. C’est le patient zéro de ces banlieues-dortoirs labyrinthiques qui ont ensuite colonisé le pays, et nos écrans, dans un stratagème voué à en faire l’incarnation tangible du Rêve Américain. Sauf qu’au même moment, une clause imposée par le promoteur William Levitt empêche la vente de ces maisons à toutes personnes non caucasiennes. Levittown devient alors – en plus d’être à l’origine de la vision contemporaine de l’American Way of Life et d’un large pan du cinéma américain des années 50 à nos jours – responsable en très grande partie de la ségrégation phénoménale qui existe dans ce type d’espaces.
Le second élément est le travail de Bernie Krause : un bio acousticien qui a passé sa vie à enregistrer des sons d’animaux et à étudier la manière dont eux aussi, colonisent et organisent le réel. Quand j’ai découvert ses captations de hurlements de meutes de loups, elles m’ont glacé le sang. Et je me suis dit, quoi de mieux pour parler de la fascination et la terreur que semble conjurer cette suburbia, que la peur primitive mais énormément fantasmée, du loup?
Comment s’est effectué le choix des longs métrages cités dans la première partie du film ?
Le film convoque beaucoup de références cinématographiques, surtout dans sa première partie. Je suis parti d’œuvres de fictions qui traitent dans leur sujet ce type de preplanned suburbs. Certaines s’imposaient, comme American Beauty, The Stepford Wives ou The Swimmer, mais d’autres étaient un peu plus subtiles dans leur approche de la banlieue, comme Blue Velvet ou Donnie Darko. Ensuite ça a surtout été un gros travail d’élagage.
A quel moment la structure particulière du film s’est-elle imposée ?
La structure s’est imposée assez rapidement, il a toujours été question d’avoir deux parties distinctes mais liées par le texte. Le film joue sur les ruptures et changements de tons, et la structure en diptyque servait à la fois à venir renforcer cet aspect, et opérer une sorte de zoom : plus on avance dans Levittown, plus on s’enfonce dans la fiction.
Quelles questions en termes formels t’es tu posées pour mettre en scène Levittown ?
La première partie étant un travail de tissage de références, le montage était déjà extrêmement présent dans le texte. Je savais qu’il faudrait équilibrer ça par une simplicité formelle, donc le plan séquence s’est imposé de lui même. Et puis une performance comme celle de mon acteur, Elijah Rollé, on n’a pas envie de couper dedans, ça aide à faire monter la tension. La seconde partie à l’inverse est globalement dépourvue de texte, donc je pouvais m’amuser un peu plus à jouer avec la forme. J’ai donc travaillé avec certains archétypes de mise en scène liés aux films de genres, pour conjurer un autre type de peur.
Quels sont tes cinéastes favoris et/ou ceux qui t’inspirent ?
Oula, ils sont nombreux! Et surtout assez éclectiques, même si en grande majorité américains, et avec un goût pour l’étrange. Du coup David Robert Mitchell, David Lynch, John Carpenter me viennent en tête en premier, mais j’ai un amour tout aussi fort pour Alex Ross Perry, Kelly Reichardt, Sean Baker, Sean Durkin ou Virgil Vernier.
Quelle est la dernière fois où tu as eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
J’ai eu la chance de voir plein de belles choses en fin d’année 2018, qui restent encore avec moi des mois après. Le film de Graham Swon (lire notre entretien) The World is Full of Secrets arrive en tête, un premier long métrage (et premier film tout court), qui fait montre d’une incroyable confiance dans la radicalité de son dispositif et dans le pouvoir de la suggestion, c’était impressionnant. Reza d’Alireza Motamedi, sublime film iranien d’une maitrise déroutante, qui j’espère va faire son chemin jusqu’aux salles françaises. Et le premier court métrage de l’actrice réalisatrice Julia Artamonov, Moonchild auquel je repense encore aujourd’hui, un objet hybride qui rappelle le meilleur de Richard Kelly, avec une sensibilité et une voracité très prometteuses. Qu’on leur donne vite des sous pour que je puisse en voir plus!
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 30 mars 2019.
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