Avec l’impressionnant huis-clos Saturday Afternoon, le cinéaste bangladais Mostofa Sarwar Farooki reconstitue en un unique plan-séquence d’1h20 une prise d’otages dans un café de Dacca. Censuré dans son pays, le film est présenté cette semaine au Festival de Vesoul et très bientôt à Paris dans le cadre d’Inédits d’Asie. Mostofa Sarwar Farooki est notre invité de ce Lundi Découverte.
Saturday Afternoon s’inspire de faits réels ayant eu lieu en 2016. Au moment de récréer ces événements à l’écran, qu’est-ce qui vous a fait opter pour un unique plan séquence ?
Ce n’est pas une idée qui est venue à posteriori : c’était l’origine-même du projet. Dès que j’ai commencé à penser à ce film, je l’ai imaginé en un unique plan-séquence. Je voulais créer une expérience immersive pour le spectateur, je voulais qu’il ait lui-même l’impression d’être dans ce restaurant, et que tout cela arrive autour de lui en temps réel. Je n’aurais pas pu obtenir la même intensité en découpant ce plan-séquence. Quand on commence à faire durer un plan un petit peu trop longtemps, ça génère une certaine tension chez le spectateur. Couper permet de faire retomber cette pression, or c’était précisément ce que je souhaitais éviter!
Vous souhaitiez initialement que le film soit entièrement tourné en caméra subjective. Qu’est-ce que qui vous attirait dans cette idée, et qu’est ce qui vous a poussé à l’abandonner ?
C’est exact, je voulais à la base que le film soit un unique plan-séquence en caméra subjective. Mais je me demandais si on pouvait bel et bien tenir 80 minutes avec ce effet-là. J’avais peur que ça finisse par mettre des œillères au film. Mon directeur de la photo, Aiz Zhambakiev partageait mon inquiétude. Au final, ce qui a nous a fait abandonner cette idée c’est que je voulais offrir une multitude de points de vue, et pas uniquement celui d’un seul protagoniste, je voulais élargir l’horizon au maximum.
Il y a beaucoup de nuances dans le rythme du film. Puisque vous ne pouviez pas vous reposer sur le montage, comment vous y êtes-vous préparé ?
Merci d’avoir remarqué cela. C’est vrai que c’est sans doute le plus grand défi quand on fait un film en un seul plan : comment créer du rythme, comment créer différents chapitres dans l’histoire, mais aussi comment traduire les points de vue de différents personnages, et comment changer de point de vue sans changer de plan. Ce n’est pas pour rien que le montage est l’outil le plus fondamental quand on souhaite raconter une histoire ! Quand il est impossible de se reposer sur du montage traditionnel, il faut alors apprendre à monter de façon alternative, avec les mouvements de caméra comme outil. A chaque nouvelle action, à chaque mouvement de caméra, nous voulions donner l’illusion du montage. Grâce à ce travail alternatif, nous avons pu mettre l’accent sur certains aspects, créer du rythme et du liant, comme on l’aurait fait sur un banc de montage. Sauf que dans notre cas, c’est passé par une véritable partition pour la caméra. En ce sens, on peut presque dire notre film n’est pas dénué de montage.
Dans le film, la logique des terroristes est souvent absurde, au point de devenir presque drôle par moments. Comment avez-vous géré cette potentielle dimension humoristique dans un ensemble qui reste très tendu ?
Eh bien notre intention n’a jamais été d’être comiques. C’est vrai que la philosophie et les décisions des terroristes sont souvent bizarres et contradictoires, et que hors-contexte, ça pourrait prêter à sourire, mais j’ai veillé à ce que les meurtres brutaux et la tension de la situation ne permet jamais de concrétiser ce soulagement comique.
En janvier 2019, le comité de censure du Bangladesh a interdit l’exploitation du film, et même le diffusion de la bande-annonce sur internet. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette décision ?
Je dois dire que c’est toujours un mystère, même pour moi ! Après avoir visionné le film, ils m’ont appelé directement pour me dire qu’ils allaient délibérer, et dans les jours qui ont suivi, certains membres ont en effet confirmé en interview que le film était sur le point de recevoir son certificat d’exploitation. Ce qui s’est passé c’est que deux jours après est apparue en ligne une campagne virale lancée par des dirigeants islamistes qui exigeaient l’interdiction du film. Ils ont répandu les pires mensonges sur le film alors qu’ils ne l’avaient même pas vu, ce qui n’a pas empêché ces vidéos d’être partagées des milliers de fois en à peine 24h. Deux jours plus tard, le comité a demandé un second visionnage, ce qui n’arrive jamais. A la suite de quoi, ils ont décidé de ne plus nous donner de certificat, sans explication. Nous avons fait appel à cette décision, mais nous sommes toujours en attente.
Qui sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
J’ai bien peur qu’il y en ait trop, et pour des raisons très différentes ! Pour en citer quelques uns : Robert Bresson, Jean-Luc Godard, Yasujiro Ozu, Wim Wenders, Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi, Mohseen Makhmalbaf, Kim Ki Duk, Lee Chang Dong, Wong Kar Wai, Martin Scorsese, les frères Coen , Spike Lee et tant d’autres ! Je suis sûr que j’en ai oublié plein.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
C’est presque une réponse mainstream maintenant que le film est entré dans l’histoire en remportant quatre Oscars, mais c’est bien évidement Parasite ! Ce n’est même pas le meilleur film de Bong, c’est dire son talent, mais on y retrouve cette fluidité saisissante, la confiance contagieuse du réalisateur qui sait très bien ce qu’il fait. Si le même scénario avait été donné à un autre cinéaste, celui-ci aurait couru le risque d’être trop cheesy ou d’en faire des tonnes. Bong Joon-Ho est un véritable maitre, c’est sa mise en scène qui rend le tout aussi crédible et inoubliable.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 14 février 2020. Un grand merci à Bich-Quân Tran.
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Saturday Afternoon sera présenté le jeudi 27 février à Paris, à l’Espace Saint Michel, dans le cadre du rendez-vous mensuel Inédits d’Asie, en présence du réalisateur. Retrouvez toutes les informations sur la page Facebook de l’événement.