Entretien avec Melvil Poupaud

Du 18 au 26 septembre, Melvil Poupaud est l’invité spécial du Forum des Images à l’occasion du programme Mille Melvil qui lui est consacré. Au programme : projections de ses films (devant et derrière la caméra) et carte blanche autour des thèmes de l’enfance et de l’enfant-acteur, qui réunit classiques et raretés. Nous l’avons rencontré à cette occasion : il nous parle des temps forts de sa carrière, d’être enfant acteur, de cinéma queer, d’Eric Rohmer et de Speed Racer

Tu es présenté comme co-programmateur de ce cycle. Quel a été ton implication dans sa composition ?

J’avais déjà eu une ou deux rétrospectives, au Japon ou bien à Belfort, quand Lili Hinstin en était encore la programmatrice, et à chaque fois j’ai collaboré ou donné mon avis. Il y a d’un côté les films les plus connus, que les gens aiment bien et sont contents de revoir sur grand écran, et que je suis content de montrer aussi car ce sont des moments charnières de ma carrière, mais de l’autre côté il y a aussi des films que j’ai envie de revoir et qui méritent d’être redécouverts dans un certain contexte. Quand Muriel Dreyfus m’a proposé cette rétrospective au Forum des Images, je me suis dit que c’était quand même pas commun, que j’étais peut-être un peu jeune. J’ai donc souhaité lui donner un sens particulier, pour la justifier. J’ai pensé à cette idée d’enfant-acteur.

Comment as-tu sélectionné les films de ta carte blanche ?

Je suis cinéphile mais je ne suis pas un vrai grand cinéphile. J’en connais certains qui connaissent vraiment l’histoire du cinéma, mais je ne suis pas comme ça. J’ai des films cultes, j’ai des obsessions, des metteurs en scène dont je connais très bien le travail. Les films avec des enfants c’est un sujet qui me touche profondément. Certains m’ont impressionné par leur prestation, leur professionnalisme, leur sens du jeu. J’essaie de comprendre ce qu’il se passe dans la tête des mômes quand ils jouent, comment à leur âge ils peuvent à ce point comprendre ce qui se passe dans la tête de leur personnage, comment ils se projettent.

Dans Butcher Boy, la performance du jeune acteur est digne d’un grand Sean Penn ou d’un grand Jack Nicholson. Le gamin devient fou, il a des visions de la Vierge. Dans ce cas-là, l’acteur n’est vraiment plus lui-même. On assiste à un phénomène presque fantastique de transsubstantiation. Même chose dans Un enfant attend de Cassavetes. Le môme doit avoir dix ans et il a déjà un regard, une présence, un jeu avec la caméra qui sont incroyables. Je me demande s’il était réellement autiste ou bien s’il a simplement été dirigé comme ça. Le film se passe dans un centre médical où vient travailler Judy Garland, elle-même actrice ayant commencé enfant. Ce sont des performances où à aucun moment on ne doute de la sincérité des acteurs.

C’est dans ce sens-là que tu as choisi de programmer une rencontre avec Sandrine Bonnaire ?

Exactement. Au début je me suis demandé qui, parmi les enfants acteurs français, qui était encore dans le circuit. Il y a Jean-Pierre Léaud évidemment, qui est carrément mythique, mais c’est peut-être un peu difficile de l’attraper. J’ai très vite pensé à Sandrine parce que, même si je l’ai rencontrée peu de fois dans ma vie, on a déjà échangé sur le métier d’acteur et sur l’expérience de notre jeunesse. C’est assez original d’avoir commencé si jeune et d’avoir continué à faire des films au fil des années. En France surtout, en général on fait un film et on disparait. Tout le monde n’a pas eu la même chance que nous. Aux États-Unis c’est plus commun. Elle a commencé un peu plus tard que moi mais on l’a vue grandir, changer, et puis elle a fait des films très marquants. J’avais envie de parler avec elle de ce que cela impliquait de jouer au début de sa vie, au milieu, puis à notre âge d’aujourd’hui. A-t-on changé ? Est-on devenu meilleurs ou moins bon ?

Un parallèle supplémentaire entre vos deux carrières, c’est que vous avez commencé chez des cinéastes considérés aujourd’hui encore comme radicaux. Ce n’est pas le cas par exemple, de Sophie Marceau, qu’on a pourtant aussi vu grandir à l’écran.

C’est vrai. C’est peut-être pour ça que Sophie Marceau n’a pas encore eu sa rétrospective au Forum des Images, non ? C’est une bonne actrice et elle a sa place un peu iconique dans le cinéma français, et même à l’international, mais ses films sont pour moi moins marquants que les Pialat, Rivette ou Varda dans lesquels Sandrine à a joué. Je pense que Sandrine sera d’accord avec moi : ce qui fait que tu restes dans l’histoire du cinéma, au-delà de certains rôles marquants qui peuvent correspondre à une génération, c’est quand tu as la chance de t’inscrire dans la filmographie de grands auteurs.

Si on parle aujourd’hui des films que j’ai faits enfant, ce n’est pas parce qu’ils ont marqué le public, c’est parce que c’est Raoul Ruiz qui les a faits, qu’il a souvent des rétrospectives dans le monde entier et qu’on m’invite pour parler de lui. Les films de Sandrine ont peut-être moins marqué le public que La Boum, mais aujourd’hui ce sont eux qu’on retrouve dans des rétrospectives. Bon, La Boum c’est peut-être pas un bon exemple, parce qu’aujourd’hui encore les jeunes filles le regardent et s’y retrouvent. Ce que je voulais dire c’est : un bon film, ça reste, alors que le succès, c’est ce qu’il y a de plus éphémère.

Tout au long de ta carrière, tu as tourné avec un nombre remarquable de réalisatrices…

Ah oui ?

Beaucoup oui. Ce n’est pas quelque chose dont tu as conscience?

Ah non. Mais tu sais, homme ou femme, trans ou non, c’est une question que je ne me suis jamais posé. J’ai grandi élevé par ma mère, cinéphile, homosexuelle, fascinée par tout ce qui est transgenre. Elle a réalisé un documentaire intitulé Crossdresser dont j’ai fait le montage, sur des hommes qui s’habillent en femme. Donc les questions de genre que les gens peuvent se poser, elles sont chez moi déjà complètement intégrées. J’ai conscience qu’il y a des gens qui voient ça comme un problème à dénouer, mais moi je me retrouve souvent à dire… « c’est quoi le problème? ». À tel point que ça m’est arrivé d’avoir des discussions un peu houleuses avec des femmes qui avaient du mal à comprendre mon point de vue.

Ma fille qui a 18 ans, c’est vraiment une autre génération. Pour elle, il y a des débats à avoir. Je fais des blagues à la con un peu limites et elle me reprend en disant « T’as pas le droit de dire ça ». Ce sont des questions que je m’étais jamais trop posées. En tout cas je n’ai jamais fait la différence entre un metteur en scène homme ou femme.

Cela explique peut-être la popularité affectueuse dont tu bénéficie chez de nombreux cinéphiles gay. Pour un acteur hétéro, tu as non seulement tourné pour beaucoup de femmes, mais aussi dans pas mal de films queer.

Ça me fait plaisir, d’autant plus que je ne me considère pas comme queer. Là encore, je ne fais pas de distinction entre un personnage queer ou hétéro. Quand Xavier Dolan m’a proposé Laurence Anyways, je n’ai pas hésité une seconde parce que c’était un très beau rôle. Ozon m’avait fait jouer un homosexuel dans Le Temps qui reste, et hormis une scène de cul où je n’étais pas spécialement à l’aise, ça me m’a jamais posé de problème. Est-ce que ça m’a coupé de certains rôles plus machos ou virils dans des films d’action ou de genre ? Même pas tant que ça. Je ne crois pas que ça m’a coupé de quoi que ce soit. Je n’ai pas eu l’impression d’insister sur ce côté queer, mais j’en suis plutôt fier.

Comment t’es-tu retrouvé dans Speed Racer, film où on ne t’attendait pas du tout à l’époque ?

Ah, un film un peu queer, lui aussi. À l’époque j’avais un agent en Angleterre qui recevait des projets américains dans lesquels il fallait des Européens. C’est souvent comme ça aux États-Unis, les mecs ne savent pas s’ils veulent un Français, un Espagnol ou un Roumain, et ça passe par une espèce d’entonnoir à Londres. J’ai fait quelques castings à l’époque pour ces rôles d' »Européens », mais en l’occurrence pour ce film, tout s’est fait par internet. C’était la première fois que je me filmais tout seul et que j’envoyais le fichier en ligne. À l’époque je n’avais même pas encore internet chez moi, c’était compliqué. Et puis les sœurs Wachowski m’ont rappelé tout de suite, elles m’ont dit qu’elles avaient trouvé mon audition super, et qu’elle allaient me filer un rôle plus grand que prévu.

Elles sortaient juste de Matrix, tout était énorme : c’était tourné dans des gigantesques studios à Berlin, il y avait un village entier de caravanes, il y avait une école et une garderie pour les enfants de l’équipe, c’était incroyable. Et moi je n’étais qu’un grain de sable là-dedans. Au final je n’ai pas passé tant de temps que ça avec elles. J’avais envie de les recontacter par la suite, leur demander si elles avaient vu Laurence Anyways et ce qu’elles en avaient pensé.

C’est un film que je trouve génial, hyper beau. C’est un film qui a fait un flop retentissant à l’époque mais qui est devenu un peu culte depuis. Et puis ça fait marrer les gens de me voir là-dedans. C’était la première fois que je tournais sur fond vert, je ne l’ai pas souvent refait depuis. C’est une nouvelle manière de jouer la comédie, ça appelle quelque chose de très bande dessinée, tu es obligé d’être à fond pare que tout se passe dans ta tête. C’était vraiment un film de môme qui joue avec des petites voitures, il a le délire un peu fou et la naïveté des jeux d’enfants. Devant ce fond vert j’étais moi-même retombé en enfance.

Enfant, adolescent, adulte : tu as été filmé à tous les âges sans interruption. Y a-t-il eu un moment où tu as senti que tu étais filmé en tant qu’adulte pour la première fois ?

Ça a commencé à changer quand je me suis mis à travailler avec des metteurs en scène de mon âge ou plus jeune, c’est à dire vers mes 40 ans, parce qu’il est rare de tomber sur un metteur en scène de moins de 40 ans. D’un coup je me suis retrouvé devant des metteurs en scène qui avaient vu mes films. Ça changé avec Dolan en fait, puisque j’avais 40 ans et lui 21 quand on a commencé le film, et ça s’est accentué par la suite. Lucie Borleteau, Nicolas Pariser, Justine Triet… ils ne sont pas tellement plus jeunes que moi mais ils ont commencé leur carrière plus tardivement.

Ça m’arrive souvent de réaliser que, sur un plateau de tournage, je suis celui qui a commencé il y a le plus longtemps, mais ça ne me dérange pas du tout. Ça ne me dérange pas de jouer le rôle du grand frère. J’ai eu ce type de relation sur Victoria avec Vincent Lacoste qui est très cinéphile et qui avait vu mes films. Là je tourne une série pour Canal+ avec Quentin Dolmaire et d’autres jeunes acteurs. Ça m’intéresse de parler de culture, de cinoche avec eux.

Quand tu as un parcours qui s’étend un peu dans temps, toi-même tu changes, ton corps change, on te propose plus les mêmes rôles et tant mieux. Heureusement que je ne suis pas resté scotché au rôle du jeune premier ou du grand dadais jusqu’à mes quarante ans. Ç’aurait été un traumatisme d’être coincé toute ma vie dans le rôle de Gaspard du Conte d’été. Je suis moi-même surpris des rôles qu’on me propose et de la manière dont on me voit. Là, je viens de tourner pour François Ozon, qui m’a fait jouer un prof avec des lunettes, un mec un peu limite, un peu trop attiré par ses élèves. Il y a quelques années je n’aurais jamais rêvé qu’on me propose ça. C’est une chance de voir que j’inspire les metteurs en scène alors que je vieillis.

Dans les bonus du DVD de Conte d’été, tu dis que ce film est aujourd’hui encore ta plus importante carte de visite, en France comme ailleurs.

Ah oui, et ça le restera sûrement à vie. Je pense que ce sera toujours mon plus grand succès, d’abord parce que le film est très réussi, et puis c’est Rohmer. Il a toujours été énormément estimé, mais depuis qu’il est mort il est devenu une sorte de monstre sacré. Tout le monde se réclame de Rohmer, des États-Unis au Japon, et en France on fait mêmes du Rohmer à la plage avec des prostituées. Et dans Conte d’été il y a une bonne dose de rohmerisme. il y a d’ailleurs trois Rohmeriennes, même si pour une fois, c’est un garçon et non pas une fille qui est le protagoniste, ce qui n’est surement pas anodin non plus. Il y a une sorte de grâce dans ce film qui sera dur à battre. Ceci dit, le Xavier Dolan est pas loin derrière parce qu’il a marqué une génération plus jeune et plus queer, et parce que Dolan a fait d’autres films qui ont beaucoup mieux marché par la suite. C’est rare dans une carrière d’avoir des films qui marchent aussi bien et qui prennent place dans la cinéphilie.

Quel est le dernier film que tu as vu au cinéma et qui t’as fait dire « je n’avais jamais vu ça » ?

Je suis un grand fan d’Albert Serra. C’est un type singulier qui a presque inventé une forme cinématographique qui n’existait pas avant, j’ai hâte de voir son dernier film, Liberté. Pareil pour Pedro Costa, qui vient de gagner le Léopard d’or à Locarno. Dans la chambre de Vanda est l’un de mes plus grands chocs cinématographiques, pour moi c’est un tournant du cinéma et d’une époque. Sinon l’autre jour je suis allé voir le Tarantino, et je me suis rendu compte que c’était l’un des seuls cinéastes dont j’allais voir tous les films la semaine de de leur sortie. Je ne suis pourtant pas un fan, notamment parce que je n’aime pas trop l’ultraviolence. Ça me gêne qu’on me fasse prendre mon pied en éclatant la tête d’une femme. Ce n’est pas du très grand cinéma, c’est plutôt du post-cinéma ou bien du cinéma filmé comme diraient les intellos. Pourtant j’ai pris énormément de plaisir, notamment pour les acteurs. À peine le film terminé, j’avais envie de vite rentrer chez moi réécouter la BO.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 2 septembre 2019. Un grand merci à Diana-Odile Lestage. Toutes les infos sur le programme Mille Melvil.

Source images / Source image Speed Racer

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