Découvert au dernier Festival National du Film d’Animation dans la compétition courts métrages étudiants, De l’eau plein les poches est réalisé par Mariam Farota. Ce film d’une grande délicatesse raconte l’été pluvieux de deux enfants confrontés à un traumatisme familial. La cinéaste laisse une place au merveilleux dans un décor banal dont elle saisit l’atmosphère avec un talent prometteur. Mariam Farota nous parle de ce court métrage à voir à l’issue de notre entretien.
Quel a été le point de départ de De l’eau plein les poches ?
Au moment de réfléchir à mon film de fin d’études, j’ai eu besoin de raconter un récit mélangeant les thèmes que j’avais explorés jusqu’alors. On y retrouve mon rapport à l’enfance, à la famille mais aussi au conte et au fantastique. Tout cela prenant place juste après la crise sanitaire, le besoin de confronter un monde confortable propre à l’enfance avec une réalité plus dure et nuancée s’est alors imposé à moi comme une évidence. C’est pour exprimer les angoisses de ma génération face à un avenir de plus en plus incertain que j’ai commencé à développer l’histoire de Sacha et Noé.
En ce qui concerne l’univers du film, il se trouve qu’un jour je rentrais chez moi sous une pluie torrentielle en plein mois de juin. L’été inhabituel et capricieux qui s’annonçait était un excellent terrain de jeu pour accompagner les émotions des personnages, entre orage et éclaircie. J’ai placé ensuite l’intrigue dans un petit village perdu, semblable à celui dans lequel j’ai pu vivre plus jeune. Ainsi j’ai pu construire un univers fidèle à celui de mon enfance, où je pouvais faire évoluer les personnages d’une manière qui me semblait juste.
Pouvez-vous nous parler de la technique d’animation employée pour votre film ?
Le film est un mélange d’animation 2d et banc-titre, avec un passage d’animation directe sous caméra à l’encre colorée. Je voulais un rendu organique et matiéré qui pourrait appuyer au mieux l’atmosphère pluvieuse et brumeuse du film, ce que j’ai fini par trouver en travaillant la transparence entre les différentes couches d’animation et de décors. Les moments en peinture directe à l’encre participent aussi à garder le côté aqueux nécessaire au récit. De plus, utiliser le banc-titre était important pour moi afin de me sentir constamment impliquée dans la création des images. Il permet cette part d’inconnue quant au résultat final qui me stimule et me séduit beaucoup. Seule la pluie, trop difficile à animer directement sous caméra, a été rajoutée au compositing.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre utilisation du merveilleux pour traiter de thématiques à la fois sombres et quotidiennes ?
Je n’envisage que très rarement de raconter une histoire sans passer par l’usage du merveilleux et du fantastique, car je l’intègre beaucoup dans mon quotidien. Chacun a sa propre mythologie intérieur, son monde à soi qui nous nourrit et nous permet de retrouver pied quand le monde extérieur devient trop rude. Ainsi par la confrontation de ces mondes invisibles avec notre réalité supposément plus concrète, je tente de mettre en lumière différemment le quotidien pour l’appréhender d’une façon nouvelle et singulière. C’est par exemple le rôle des fées dans le film, qui incarnent l’espoir d’accéder à une autre réalité, plus apaisée et optimiste.
Cependant, j’aime évoquer cette magie en gardant une part de mystère, il n’est jamais question de valider ou non son existence. Si le réel et l’irréel se mélangent sans imposer de vérité unique, chacun peut donc s’en emparer à sa manière.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Il est très difficile de choisir ! Je pense être inspirée par beaucoup d’artistes différents. Mais je pourrais citer la réalisatrice Anna Budanova, dont le travail me parle tout particulièrement depuis quelques années. Elle associe des histoires au postulat simple, pleine de sens et d’onirisme, avec un graphisme très vivant et sensible. Ces films ont le don de me transporter et me plonger dans un univers singulier et c’est à chaque fois un voyage.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Encore une question difficile, car j’ai l’impression de constamment découvrir de nouvelles choses, surtout chez la nouvelle génération de réalisateurices de cinéma d’art et d’essai. Cependant je peux citer le film Atlantique de Mati Diop, sorti il y a quelques années. Ce fut pour moi une révélation quant à l’utilisation du fantastique dans un récit au problématiques sociétales assumées. De plus, je pense que cela m’a fait du bien de voir des personnages racisés à l’écran, mis en scène avec justesse et puissance.
Dans la même idée, le film Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh m’a complètement bouleversée. En plus de la confrontation très subtile du réel et de l’irréel, il a une approche presque documentaire qui donne un puissance supplémentaire au récit. C’est vers ce genre de narration et mise en scène que je souhaite me diriger maintenant, et ces œuvres me motivent grandement.
Côté animation, je pense à Drôles d’oiseaux de Charlie Belin ou encore à Linda veut du poulet de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta. Ces films apportent un soin tout particulier aux prises de son, alliant spontanéité et approche documentaire. Je trouve que ce procédé encore rare dans le milieu de l’animation redéfinit avec fraîcheur la façon de faire exister des personnages et des lieux à l’écran.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 6 avril 2023. Un grand merci à Estelle Lacaud.
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