Poétesse et réalisatrice, la Brésilienne Maria Clara Escobar est l’une des révélations de l’année avec son film Desterro. Ce drame sur un couple dont la relation est sur le point de dérailler propose un voyage fascinant entre l’École de Berlin et le meilleur du cinéma brésilien contemporain. Desterro, dévoilé l’an passé à Rotterdam et qui figure dans notre dossier des meilleurs inédits de 2020, figure cette semaine dans la compétition en ligne du Festival Cinélatino – ne le manquez pas ! Maria Clara Escobar est notre invitée.
Comment traduiriez-vous le titre de votre film, Desterro ?
Desterro désigne un sentiment très concret et très abstrait en même temps. C’est le fait de ne pas avoir de terre, d’endroit à soi. De ne pas avoir de lieu auquel on appartient, où aller, auquel s’identifier et où l’on peut retourner.
En quoi votre expérience en tant qu’autrice et poétesse a eu une influence sur votre manière de créer Desterro ?
J’ai commencé à travailler dans le cinéma comme scénariste, et je n’avais que 15/16 ans. Donc pour moi, les mots incarnent vraiment mon rapport au monde et aux images. Nous avons lu beaucoup de poésie lors de la préparation du film. Lors de l’écriture, j’ai également compris que le cœur de Desterro se situait aussi dans son atmosphère. Je me suis donc autorisée à avoir une écriture plus « poétique » que d’habitude.
Il y a beaucoup de choix esthétiquement et narrativement audacieux dans Desterro (notamment en ce qui concerne le montage), qui traduisent le sentiment d’inconfort de Laura. Jusqu’où étiez-vous prête à mettre les spectateurs eux-mêmes dans un état d’inconfort ?
Je ne vois pas ça comme un désir d’ « inconfort ». J’ai plutôt essayé d’atteindre une forme de non-dit, de parler de choses qu’on n’arrive pas à désigner par un mot – parce qu’on ne les connait pas encore ou parce qu’elles n’ont pas de nom. Cette zone grise entre ce qui existe physiquement et ce qu’on peut voir. Et bien sûr, l’inconnu est un inconfort. Mais j’espère aussi que les gens peuvent trouver de la joie dans cet espace. Cette sensation qu’on a lors d’une turbulence. Ce qu’on ressent, c’est aussi une question de perspective.
Dans Desterro, on peut reconnaître de nombreux visages familiers du cinéma brésilien contemporain (Isabél Zuaa, Bárbara Colen, Grace Passô, Julia Katharine). Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont s’est déroulé le casting ?
Je crois fermement que les acteurs et actrices peuvent être, et même sont des partenaires cruciaux sur un film. Si vous pouvez vous connecter et communiquer avec eux, alors vous êtes très chanceux. J’aime diriger les acteurs et construire des personnages avec eux. C’est peut-être ce qui m’a encouragée à me lancer dans la réalisation. J’ai donc choisi des bonnes actrices et de bons acteurs qui ont un vrai sens de la composition et de la mise en scène, ou dans le cas de Carla Kinzo, de la poésie et de l’atmosphère. Cela réunissait probablement le désir de travailler avec ces gens et mon admiration pour leurs œuvres. Ces femmes étonnantes font des films d’une manière très impliquée et présente.
Le sentiment de Laura d’être exilée de sa propre vie m’a rappelé certains personnages de l’Ecole de Berlin. Ce mouvement fait-il partie de vos sources d’inspiration ? Sinon, quels films et réalisateurs ont pu inspirer Desterro ?
Je crois que différents films ont influencé Desterro. Je suis cinéphile et d’une manière ou d’une autre, tous ces films sont en moi (de la même manière que la poésie et la musique). Il y a probablement quelque chose de Marseille d’Angela Schanelec par exemple, oui. Mais il y a aussi les Russes comme Requiem pour un massacre d’Elem Klimov. Mauvais sang de Leos Carax. Ou Les Fiancés d’Ermanno Olmi.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
Je viens de voir The Pregnant Tree and the Goblin de Kim Dongryung et Park Kyoungtae au Festival de Rotterdam et ça m’a époustouflée. C’est un de ces films qui prouvent que la frontière entre documentaire et fiction n’a pas de sens, qu’il n’y a pas de limite à l’expérimentation. Ce sont tous des films, et ce qui compte avant tout c’est le geste de cinéma qu’ils contiennent.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut et Nicolas Bardot le 3 février 2020. Un grand merci à Rita Bonifácio. Crédit portrait : Melle Meivogel.
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