Dévoilé en compétition courts métrages à la Berlinale, Sojourn to Shangri-La raconte l’histoire d’une assistante qui, lors d’un tournage menaçant de tomber à l’eau, doit trouver une solution. La Chinoise Lin Yihan signe un film au ton insaisissable, allant de questions purement matérielles pour finalement s’échapper jusqu’à une tension surnaturelle. Voilà un court métrage surprenant, au discret pouvoir magique, porté par une grande beauté formelle. Sojourn to Shangri-La figure dans notre dossier des meilleurs courts de la Berlinale. Lin Yihan est notre invitée.
Quel a été le point de départ de Sojourn to Shangri-La ?
Lorsque j’ai obtenu mon diplôme d’école de cinéma en 2021, j’ai travaillé dans la production de publicités, et j’ai passé de longues heures à l’intérieur d’un vaste studio souvent sombre. Au milieu de cet environnement contrôlé, j’ai trouvé du réconfort dans des moments de répit, où j’ai pu sortir et assister à la beauté époustouflante d’un coucher de soleil dégagé dans le paysage de banlieue. Pourtant, malgré l’impact profond que ces moments ont eu sur moi, il semblait que personne d’autre dans le studio ne partageait ma fascination. Un profond sentiment de rupture a émergé entre ces deux espaces.
C’est au cours d’une de ces réflexions solitaires que la graine de Sojourn to Shangri-La a été plantée. L’envie de capturer et de partager l’émotion et l’expérience de ces instants fugaces est devenue mon moteur. Il ne s’agissait pas seulement de documenter un coucher de soleil : il s’agissait de saisir la sensation d’émerveillement et de tranquillité apportée par la nature lors d’une activité humaine pilotée avant tout par le capital.
Le catalyseur de la narration du film est venu d’une source inattendue : une rencontre fortuite d’une amie, Meimei, qui est devenue plus tard la chef décoratrice de Sojourn to Shangri-La. Elle a raconté un événement où une installation massive a été emportée par la marée sur un plateau de tournage de pub, où elle travaillait comme assistante artistique.
Intriguée par les conflits subtils inhérents à cet événement et inspirée par la résonance émotionnelle qu’il évoquait en moi, j’ai su que j’avais trouvé le cadre parfait pour Sojourn to Shangri-La. À partir de cette expérience vraie et de mes propres émotions, j’ai conçu un récit qui tisse ensemble les thèmes de l’éphémère, de la beauté et de l’expérience humaine, le tout dans le contexte de cet événement inattendu.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre approche visuelle et particulièrement sur votre choix du noir et blanc ?
En fait, la traduction littérale du titre chinois du film est Visiter un site historique ce jour-là. Je voulais évoquer pour le public une expérience semblable à la lecture d’anciens récits de voyage chinois, tels que Ode à la falaise rouge de Su Shi et La Source aux fleurs de pêcher de Tao Yuanming, où les générations suivantes observent l’imagerie laissée par leurs prédécesseurs. Par conséquent, beaucoup de mes choix visuels ont été guidés par ce concept.
Par exemple, lors du choix de la caméra, nous avons opté pour un appareil numérique Super 16 avec une texture rappelant celle d’un film. Cette décision s’inscrivait dans notre désir de créer un sentiment semblable à celui de la lecture d’images historiques. Le choix de la photographie en noir et blanc était l’un des aspects de cette approche. De plus, après avoir finalisé les lieux de tournage, je me suis rendu compte que capturer le paysage en couleurs risquait de ressembler à des séquences promotionnelles touristiques typiques, surtout compte tenu de notre utilisation de drones. Alors qu’en filmant en noir et blanc, nous pouvions diminuer cette aura touristique, permettant de mettre l’accent sur les formes et les textures intrinsèques dans le cadre.
Le décor joue un rôle important dans l’atmosphère de votre film. L’histoire peut être filmée aussi bien du ciel que dans la mer. Comment avez-vous choisi ce lieu et qu’évoque t-il pour vous ?
Lorsque j’ai choisi le cadre de cette histoire, j’ai imaginé un lieu balnéaire vierge et intact, dépourvu de paysages artificiels. Cependant, le processus de sélection de l’emplacement spécifique a été semé d’embûches. Au départ, étant basée à Shanghai et avec l’incident réel qui a inspiré le film qui s’est déroulé là-bas, il semblait naturel de tourner à Shanghai. Cependant, juste avant le début de la production, la ville a été confinée en avril 2022 en raison de circonstances imprévues, ce qui a interrompu le projet.
Après la levée des restrictions à Shanghai, je suis retournée dans ma ville natale de la province du Fujian et j’ai passé un peu de temps à explorer les sites côtiers là-bas. C’est alors que j’ai réalisé l’essence spirituelle imprégnée dans les montagnes et la mer dans cette région par rapport à ailleurs. Le paysage offrait un large éventail de paysages : des forêts denses menant du littoral aux terres agricoles et aux villages au-delà.
Peut-être influencée par le riche patrimoine culturel de la région – où les croyances populaires sont abondantes et où tout peut être vénéré comme sacré – j’ai trouvé plus d’inspiration pour le scénario et la mise en scène. J’ai réimaginé les déplacements des personnages dans ce vaste décor en me servant de la disposition spatiale de la région.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Antonioni a influencé mon approche de la spatialité au cinéma et la façon dont je navigue dans les relations entre l’espace et les personnages. De plus, j’ai de l’empathie et je ressens une parenté avec les frontières floues entre les humains, les animaux et les divinités dépeintes dans les films d’Apichatpong Weerasethakul. Je crois que ce lien découle de l’arrière-plan culturel de ma ville natale, qui présente des similitudes avec Khon Kaen, en Thaïlande – où les temples ornent chaque coin de rue, suggérant une coexistence entre les humains et les êtres divins au sein d’une même ville. De plus, j’admire le travail de Jane Campion et Lucrecia Martel pour leurs voix féminines.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent au cinéma ?
Je mets un point d’honneur à suivre les jeunes cinéastes qui émergent, et chaque fois que sortent de nouvelles œuvres, j’ai hâte de les regarder. Parmi les exemples récents, citons Samsara de Lois Patiño et Here de Bas Devos.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 mars 2024. Un grand merci à Liuying Cao.
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