Festival de Cannes | Entretien avec Leonardo Martinelli • Samba Infinito

On avait déjà pu repérer le talent prometteur du Brésilien Leonardo Martinelli avec ses superbes courts métrages Fantasma Neon et Pássaro Memória. Le cinéaste est sélectionné en compétition courts métrages à la Semaine de la Critique avec Samba Infinito. Ce film raconte l’histoire d’un agent de propreté confronté au deuil en plein Carnaval de Rio. Samba Infinito est un film flamboyant, avec un espace onirique et chaleureux qui s’ouvre dans le drame social, et où la mémoire est mise en scène avec poésie. Leonardo Martinelli est notre invité.


Quel a été le point de départ de Samba Infinito ?

Le point de départ a été à travers la musique. La musique écoutée seul avec des écouteurs, dans un aéroport ou dans ma chambre. Mais aussi la musique vécue en direct, avec des dizaines d’instruments et un chœur de plus de cinq mille personnes chantant ensemble pendant le Carnaval. Vivre le Carnaval de rue de Rio de Janeiro m’a donné accès à des images et des émotions puissantes que je voulais transposer au cinéma. Les détails du film ont beaucoup changé au cours des plus de trois ans nécessaires à l’écriture, mais au fond, il est resté un portrait d’une manière différente d’habiter la ville.



Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous utilisez la ville comme un outil narratif dans Samba Infinito ?

Rio de Janeiro est une ville pleine de contradictions et de paradoxes, et ceux-ci sont toujours présents dans mes films. Je crois que Samba Infinito capture un petit fragment de cette mosaïque, surtout à travers les contrastes symboliques que nous explorons en imaginant comment les gens habitent la ville, que ce soit à travers la fantaisie ou le travail. Nous existons tous dans un contexte, et je vois cela comme une force centrale dans ma réalisation. Je suis également attiré par la façon dont les espaces urbains portent un sens, et par les possibilités de subvertir ces significations, en plaçant des gens et des actions là où on ne les attend pas, faisant ce qu’ils ne sont pas censés faire.



Vous traitez de la mémoire avec beaucoup de grâce et de sensibilité. Comment avez-vous abordé ce thème, en termes visuels ou durant le processus d’écriture ?

En portugais, nous avons un mot très spécial : saudade. Cela signifie non seulement que quelqu’un ou quelque chose nous manque, mais aussi s’accrocher à la beauté, à la mémoire, et à la présence durable de ce qui est perdu. Ce sentiment était profondément présent en moi alors que j’écrivais le scénario, et j’ai essayé de le traduire en images. L’utilisation d’une temporalité mélangée et superposée dans le film était ma façon d’atteindre cet espace intermédiaire, un monde où ceux qui nous manquent sont partis, mais sont d’une certaine manière toujours avec nous. Cela pourrait être un être cher, ou même une partie perdue de nous-mêmes. J’essaie de traduire cela en images qui créent un effet de choc, avec de forts contrastes symboliques. Des gens en costumes de carnaval flamboyants à l’intérieur d’une bibliothèque royale. Un nettoyeur de rue solennel se déplaçant à travers le moment le plus onirique de la ville. Ces juxtapositions parlent de la superposition émotionnelle que j’essaie d’évoquer dans le film.



Une fois de plus, il y a une utilisation des couleurs très frappante dans Samba infinito. Pouvez-vous parler de cet élément particulier ?

L’uniforme des agents de nettoyage dans la ville de Rio de Janeiro est un costume néon orange très distinctif avec une bande bleue. Tout comme pour les livreurs, ils portent ces vêtements fluorescents néon pour éviter d’être heurtés par des voitures. Il m’est intéressant de penser à ces personnages qui sont à la fois intrinsèques au paysage de la ville, tout en étant d’une certaine manière invisibles à l’intérieur. C’est pourquoi l’utilisation de la couleur est si importante dans cette histoire, car c’est la façon dont notre personnage se présente dans la ville. Le film est principalement tourné la nuit, et les réverbères oranges ajoutent à cet effet, bien sûr, avec les multiples couleurs du carnaval de rue. Je pense que la juxtaposition de ces éléments crée une sorte de mélancolie arc-en-ciel.



Comment avez-vous collaboré avec Gilberto Gil, quelle signification particulière revêt sa présence dans ce court métrage ?

Gilberto Gil est l’un des plus grands artistes brésiliens du siècle dernier. Sa musique a été la bande sonore de toute ma vie. Son répertoire embrasse et révèle un pays plein de contradictions, de beauté et de douleur : des émotions que j’essaie d’exprimer dans mes films. C’est pourquoi, dès que j’ai écrit le scénario, j’ai rêvé de le voir jouer ce personnage. Le diriger a été un immense honneur, un véritable rêve devenu réalité. Je suis profondément reconnaissant pour sa générosité en acceptant de faire partie de ce court métrage. Je suis passionné par la musique brésilienne : Milton Nascimento, Tom Jobim, Gal Costa, Caetano Veloso, Tom Zé, et tant d’autres… Chacun d’eux fait partie d’une riche tradition de la musique brésilienne qui a eu une si grande influence sur ma sensibilité. Et au cœur de tout cela, bien sûr, se trouve Gilberto Gil.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 mai 2025.

| Suivez Le Polyester sur BlueskyFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article