Entretien avec Jocelyn DeBoer & Dawn Luebbe

Jocelyn DeBoer et Dawn Luebbe sont-elles les filles les plus drôles de l’année ? On s’en doutait déjà en voyant le délire kitsch et camp de leur comédie satirique Greener Grass (diffusée cette semaine au Festival de la Roche-sur-Yon). Elle le confirment dans cette interview elle-même mordante et absurde. Jocelyn DeBoer et Dawn Luebbe sont nos invitées.

Jocelyn DeBoer : Le nom de votre site, Le Polyester, ça vient de John Waters? On l’adore! Je trouve d’ailleurs que c’est son meilleur film, et je pensais être la seule dans ce cas.

Ça vient bien du film, qui est mon préféré aussi. J’ai encore une carte à gratter Odorama intacte chez moi.

Dawn Luebbe : Mieux vaut ne jamais la gratter (elle se pince le nez, ndlr).

JDB : Attendez mais vous l’avez eu où, cette carte?

Je crois que c’était lors d’une précédente édition de l’Étrange Festival. En fait vous êtes sélectionnées dans le même festival que Polyester.

JDB : La première fois que notre film était présenté en dehors des États-Unis, c’était il y a quelques semaines à Locarno, et il y avait justement un hommage à John Waters. C’est un signe !

Vous savez s’il a vu votre film ?

JDB : Je ne pense pas. J’imagine que l’info serait remontée jusqu’à nous si c’était le cas. Ou alors il a trouvé ça nul et personne n’ose nous le dire. C’est bien possible. Mon rêve c’est que d’ici 20 ans, des gens continuent à voir Greener Grass à des séances de minuit en s’habillant comme les personnages du film, comme pour ses films à lui.

DL : Vous connaissez John Waters ? Dites-nous oui. Si vous le rencontrez, vous voulez bien lui parler de nous en bien, s’il vous plait ?

Greener Grass n’est pas votre première collaboration. Comment vous êtes-vous rencontrées et en êtes-vous venues à travailler régulièrement ensemble?

JDB : On a été engagées au même moment dans une troupe d’improvisation à New York, The Upright Citizens Brigade. C’est là qu’on s’est rencontrées. Donc vous comprenez, si on travaille ensemble, ce n’est clairement pas par choix.

DL : On essaie de s’éviter au maximum.

JDB : Ah oui ? Tu feras attention, tu as du rouge à lèvre sur les dents. On était une douzaine dans cette troupe, et j’ai été la première à déménager à Los Angeles. Dawn a fait pareil quelque temps après, et une fois qu’on s’est retrouvées seules et perdues en Californie, on s’est dit qu’on ferait aussi bien de travailler ensemble. C’est là qu’on a commencé à écrire le scénario du court métrage Greener Grass. La suite appartient désormais à la légende.

DL : Tous les acteurs du film viennent aussi de la scène, et ça peut faire peur de transitionner vers le cinéma. Sur scène, on sait ce qui fonctionne grâce aux réactions du public. Quand on fait une impro, c’est comme si le public écrivait la scène avec nous. Sur le tournage, on n’avait pas d’autre public que l’équipe technique, donc on essayait de les déconcentrer en les faisant rire. On avait nous-même parfois du mal à rester concentrées. J’étais d’ailleurs bien contente de ne pas jouer dans la scène où Julian hurle à sa mère « C’est toi l’école ». J’aurais été incapable de me retenir de rire.

Dans chacun de vos films, de Greener Grass à The Arrival ou Buzz

(elles coupent) VOUS AVEZ VU BUZZ?!

Oui !

JDB : C’est notre film préféré, et personne ne l’a vu ! Ça vous a plu?

Oui, et The Arrival aussi. Dans chacun de vos films vous jouez des rivales avec une relation assez malsaine. Ça vous amuse de vous torturer mutuellement à l’écran?

JDB : On n’a jamais mis les pieds dans une école de cinéma, mais il parait qu’il faut souffrir pour faire de l’art, alors bon.

DL : Plus sérieusement, on adore le mélodrame, mais dans la vraie vie, on ne pourrait pas mieux s’entendre. On passe plus de temps ensemble qu’avec nos propres partenaires.

JDB : On est toutes les deux des enfants du milieu, avec des ainés et des cadets, et on correspond tout à fait au cliché qui veut qu’on sache éviter et désamorcer les conflits au maximum. Et puis on vient du Midwest, et là encore on correspond au stéréotype qui veut qu’on ne provoque jamais ouvertement un désaccord, quitte à devenir passifs-agressifs. On est tellement diplomates dans la vraie vie qu’on se venge en jouant des personnages horribles.

Greener Grass était à la base un court métrage, que vous avez écrit dans lequel vous jouiez déjà les rôles principaux. Qu’est ce qui vous a poussées à en réaliser vous-mêmes une version longue?

JDB : On avait très envie de revenir dans ce monde là. Immédiatement après avoir fini le court, on s’est lancées dans les deux autres courts dont vous parliez, puis on a écrit un autre scénario de long qu’on a soumis à Sundance Lab, et on essayait également de transformer Greener Grass en show télé pour la chaîne IFC.

DL : On a passé un an à pitcher notre projet. Un an sans rien tourner, ça nous manquait. On voulait réaliser à nouveau.

JDB : Ce qu’ils ne nous auraient probablement pas laissé faire sur chaque épisode. Après tout, on avait quasiment aucune expérience. On a fini par comprendre que ce projet télévisé ne marcherait pas. A ce moment-là j’ai obtenu un petit rôle dans Thunder Road, et Dawn travaillait au Festival de Napa Valley. On a été comme régénérées par ces expériences respectives dans le milieu du cinéma le plus indépendant. La motivation d’en faire finalement un long métrage est née de cette excitation-là.

Dans vos films précédents, vous étiez déjà à la fois scénaristes, productrices et actrices. Voire même réalisatrices dans le cas de The Arrival. Vous combinez ici ces quatre rôles sur un long métrage, votre tout premier qui plus est. Comment en-êtes vous sorties vivantes?

DL : Contrairement à ce que je craignais, faire un long métrage s’est révélé seulement deux ou trois fois plus dur que de faire un court. Quand on est crevé sur un court, ça veut dire qu’on passe deux journée fatigantes d’affilée. Sur un long, ça veut dire 19 journées horribles d’affilé. En dehors de cet épuisement qui nous terrassait en permanence, c’était un rêve.

JDB : Le reste de l’équipe était plus ou moins la même que sur nos courts, et c’est grâce à eux qu’on a pu y arriver. En arrivant chaque matin sur le tournage, on découvrait les décors et on pleurait de joie dans les bras l’une de l’autre. On n’arrivait pas à croire que c’était vraiment notre film. Bon, on pleurait de terreur aussi.

Les versions courtes et longues de Greener Grass sont très similaires, hormis la fin. Pourquoi avoir opté pour ce nouveau dénouement?

JDB : Quelle fin vous préférez? Qu’avez vous ressenti?

La fin du long métrage est faussement optimiste.

JDB : Oui, on voulait amener l’idée d’un cycle, d’une boucle. La répétition est quelque chose de fondamental dans la vie en banlieue. On voulait que Jill touche du doigt sa libération mais qu’elle se retrouve aspirée par sa vie d’avant. Ça n’aurait fait aucun sens d’avoir un happy end alors que le reste du film est si noir. On voulait rendre hommage à toutes les horreurs qu’on a pris plaisir à mettre dans le film.

Au-delà de sa dimension comique évidente, peut-on également considérer Greener Grass comme un film d’horreur?

JDB : Absolument, c’est comme ça qu’on le voit. J’adore les thrillers psychologiques, et Dawn est obsédée par le vrais tueurs en série.

DL : Les films d’horreur et la comédie fonctionnent un peu de la même manière, en terme de rythme mais aussi dans leur manière de secouer le public.

En ce qui concerne le traitement esthétique, aviez-vous des références visuelles en tête, qu’elles viennent du cinéma ou d’ailleurs?

JDB : C’est notre équipe technique qui nous a amené des références cinématographiques : Edward aux mains d’argent, Les Femmes de Stepford… on aimait cette image pop et acidulée d’une banlieue cachant un sombre mystère qui ne demande qu’à remonter à la surface. De notre coté, on avait surtout en tête le travail de certains photographes. On aime beaucoup les photos de Gregory Crewdson et la manière si artificielle dont il utilise la lumière. C’est cette artificialité qu’on cherchait à recréer visuellement. Shakespeare disait « L’art à pour objet d’être le miroir de la nature », nous on veut que nos films soient un miroir déformant.

DL : On aime aussi beaucoup les photographies de William Eggleston. Il prend des éléments très banals de la vie en banlieue mais en les exagérant très légèrement, de telle sorte que ça sonne presque faux. Là encore c’est grâce à la lumière. Visuellement – et c’est aussi le cas pour la musique – on voulait que le film ait une vibe de la fin des années 80, avec aussi un petit bout des années 50. Ces sont deux époques de très grand conservatisme aux États-Unis, mais dans lesquelles il y a avait quelques percées d’espoir social.

JDB : On a toutes les deux grandi dans les années 90, et on s’est inspirées des séries télés pour ados qui passaient à cette époque, notamment pour les transition entre les séquences. C’était une manière de créer un sentiment de familiarité pour le spectateur, pour mieux le prendre par surprise par la suite.

Même si vous en présentez une version satirique, la vie de voisinage dans ces banlieues cossues reste un phénomène typiquement américain. Avez-vous l’impression que votre film est perçu différemment à l’étranger qu’aux États-Unis ?

DL : A chaque fois qu’on a montré le film aux États-Unis, peu importe où l’on se trouvait, il y a avait toujours quelqu’un pour nous dire : « De toute évidence, vous avez grandi dans le New Hampshire » ou bien « Clairement, vous avez grandi dans le sud de la Californie » ou encore « Vous avez tourné dans l’Utah, pas vrai ». Tout le monde voyait des parallèles flagrants avec sa propre expérience de la banlieue. En revanche, à Sarajevo, un groupe de femmes est venue nous dire que le film correspondait exactement à l’image qu’elles se faisaient des États-Unis. Je leur ai demandé si elles avaient les même banlieues dans leur pays et elles ont immédiatement hurlé « non », elles avaient l’air effrayées rien qu’à imaginer que ça leur arrive.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 12 septembre 2019. Un grand merci à Estelle Lacaud. Source portrait : Mike Windle.

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