Producteur entre autres de Tetsuya Nakashima, Makoto Shinkai ou encore Mamoru Hosoda, le Japonais Genki Kawamura signe son premier long métrage en tant que réalisateur avec N’oublie pas les fleurs. Ce mélodrame ambitieux, prix de la mise en scène à San Sebastian, raconte l’histoire d’un fils qui tente de renouer avec sa mère alors que celle-ci est atteinte de la maladie d’Alzheimer. A l’affiche, on retrouve la grande Mieko Harada, vue entre autres chez Akira Kurosawa, Yasuzō Masumura, Shinji Sōmai ou encore Kinji Fukasaku. N’oublie pas les fleurs sort le 1er mars en salles. Genki Kawamura et Mieko Harada sont nos invité.e.s.
Genki Kawamura, qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?
Genki Kawamura : Mon désir de faire ce film remonte à quelques années, lorsque j’ai réalisé que ma grand-mère commençait à oublier des choses. On lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer et j’ai décidé d’écrire un roman à ce sujet. Lorsqu’il est devenu question d’éventuellement adapter ce livre, je me suis dit que l’histoire m’était trop proche pour que je laisse quelqu’un d’autre réaliser ce projet. C’était ma grand-mère, il fallait donc que ça devienne mon film. Par ailleurs, je suis venu au Festival de Cannes présenter Duality, un court métrage dans lequel j’expérimentais des nouvelles formes de narration et de mise en scène. J’ai pensé que ce que cette nouvelle expérience pouvait me permettre de mieux raconter cette histoire.
Mieko Harada, nous connaissons et admirons votre carrière depuis longtemps. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’interpréter ce rôle-ci ?
Mieko Harada : La première raison, c’est bien sûr que j’ai beaucoup aimé le scénario dès ma première lecture. D’autre part, je ne sais pas exactement comment cela se passe dans les pays occidentaux, mais au Japon, lorsque vous êtes une actrice et que vous atteignez un certain âge, on ne vous propose plus qu’un seul type de rôle, celui d’une vieille dame digne et discrète, une mère ou une grand-mère sans aucune profondeur. En découvrant le scénario de N’oublie pas les fleurs, j’ai vite réalisé que ce personnage n’était pas juste un prétexte, qu’elle possédait sa propre vie et sa propre richesse intérieures.
Comment vous êtes-vous préparée à donner vie aux différents âges de votre personnage ?
Mieko Harada : Lorsque j’ai réalisé, assez tôt, que les différents âges du personnage étaient justement censés être joués par la même actrice, j’ai douté de ma capacité à pouvoir interpréter tout cela. J’ai été grandement aidée par le travail remarquable fait par l’équipe de coiffeur et de maquillage : à partir du moment où mon apparence et ma démarche changeait, il m’était plus évident de passer d’un âge à l’autre. Le travail sur les postures a également débloqué beaucoup de choses, car on ne se tient pas de la même manière selon que l’on a 40 ou 60 ans. Nous avons fait beaucoup de répétitions et cela a été utile.
Genki Kawamura, pouvez-vous nous en dire plus sur l’utilisation des couleurs dans votre film, notamment le jaune?
Genki Kawamura : Je dirais que leur utilisation tient à deux raisons. La première c’est que mes années passées à présenter des films dans des festivals internationaux comme Cannes m’ont appris que le public occidental ne parvient pas toujours à différencier les personnes asiatiques entre elles. Dans ce film, nous suivons une même protagoniste à différentes époques de sa vie, et je craignais qu’une partie du public perde de vue qu’il s’agit d’une seul et unique personnage. Je me suis dit que l’habiller toujours en jaune serait un bon moyen d’y pallier (rires).
D’ailleurs le jaune qu’elle porte n’est jamais exactement le même : pour les scènes situées dans sa jeunesse, elle porte un jaune vif, tandis que ses habits deviennent plus pastel à mesure qu’elle vieillit. Son fils est quant lui souvent habillé en violet, ce qui contraste fortement avec le jaune. L’autre raison qui m’a poussé à choisir de telles couleurs, c’est justement parce qu’elles permettent d’exprimer beaucoup de choses quasi instantanément. C’est un langage visuel très percutant, qui m’est venu de mon expérience dans l’animation.
De façon générale, en quoi est ce que votre expérience de producteur vous a-t-elle aidé pour réaliser votre premier long métrage ?
Genki Kawamura : Ce qui est sûr, c’est que mon expérience cinéphile a eu une énorme influence sur ce film. D’un côté, j’ai souhaité m’inspirer de Kenji Mizoguchi, notamment Les Contes de la lune vague après la pluie, et la fluidité unique avec laquelle il parvient à brouiller la frontière ente rêve et réalité. D’un autre coté, mon expérience me pousse effectivement à être influencé par le cinéma d’animation. J’apprécie beaucoup par exemple la manière qu’a Satoshi Kon de créer ses propres mondes et de jouer sur la temporalité.
Pouvez-vous nous parler de votre travail sur les plans-séquences, et la manière dont vous mélangez justement vous aussi les temporalités dans le même plan ?
Genki Kawamura : Ce genre de scène existe bien sûr déjà d’autres cinéastes, comme par exemple chez Mizoguchi. Mon désir en utilisant cela était de retranscrire le mieux possible la logique intérieure des personnes atteintes d’Alzheimer. On a parfois l’impression que ces personnes errent sans logique, mais c’est plutôt que le but qu’elles cherchent à atteindre n’arrête pas de se déplacer. L’impression de perte de repères qu’il y a dans ces scènes provient du fait que pour interagir avec notre environnement, on se fie généralement avant tout à ce que l’on perçoit visuellement. Or ces scènes sont davantage guidées et liées par le travail du son.
Concernant la perte de repères, l’utilisation de la lumière donne également parfois à N’oublie pas les fleurs des airs de film de fantômes. Est-ce une interprétation qui vous convient?
(Ils hochent tous deux la tête, ndlr)
Genki Kawamura : Si cela est assez fréquent dans le cinéma américain, il demeure assez rare dans le cinéma japonais d’utiliser des variations de lumières à l’intérieur d’une même scène. C’est pourtant un effet très évocateur, qui permet là encore de suggérer une frontière entre rêve et réalité. Je ne suis pas persuadé que tous les spectateurs le remarqueront, mais c’est effectivement un aspect que nous avons beaucoup travaillé.
Mieko Harada, quel a été le plus grand challenge dans ce rôle?
Mieko Harada : Le plus grand défi était bien entendu de jouer à la fois une femme de quarante ans et une femme de soixante ans, mais je dois dire que les scènes de piano ont représenté un certain travail. J’ai dû commencer à m’entrainer six mois avant le tournage, rien que pour ces quelques scènes.
Genki Kawamura : De mon point de vue, la scène qui me paraissait représenter le plus grand défi était un unique plan-séquence de sept minutes où le personnage devait changer d’âge à plusieurs reprises sans coupure. Au moment du tournage, je me suis rendu compte à quel point cela devait être compliqué à interpréter.
Mieko Harada : Ce qui rendait cette scène ardue, c’était que pour l’ensemble du film nous avions délibérément opté pour un jeu très naturaliste. Je ne devais jamais donner l’impression d’être en train de jouer, je souhaitais maintenir l’illusion autant que possible. Tous les cinéastes ne souhaitent pas nécessairement de type d’interprétation.
Le dénouement de N’oublie pas les fleurs peut être interprété aussi bien de façon positive ou amère, quel est chacun votre point de vue sur l’ambivalence de cette fin?
Genki Kawamura : C’est une très bonne question et je suis ravi que vous ayez noté cette ambiguïté. Je ne crois ni aux happy ends ni aux fins tragiques, car cela ne rend pas justice au fait que nous portons toujours en nous de la tristesse et de la joie. Lorsqu’une rivière se jette dans la mer, l’eau pure et l’eau salée se mélangent. Nos vies sont comme cela.
Mieko Harada : Ce que je préfère dans cette fin est qu’on ignore si elle illustre le point de vue de la mère ou du fils. Même s’il s’agit d’une scène de réunion affectueuse, une étrange incompréhension demeure entre eux, et c’est là le sujet même du film.
Pour finir, Genki Kawamura, envisageriez-vous de réaliser vous-même un film d’animation?
Genki Kawamura : Non (rires) !
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 21 septembre 2022. Un grand merci à Brigitta Portier. Crédit portraits : Alex Abril.
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