C’est la (double) tête d’affiche de Trois nuits par semaine actuellement en salles : l’acteur Romain Eck, plus connu sous son nom de drag queen Cookie Kunty, brille dans le premier long métrage de Florent Gouëlou. On a déjà pu croiser la flamboyante Cookie dans les précédents courts du cinéaste, ainsi que sur scène où elle fait preuve de charisme et de générosité. Cookie / Romain nous parle en détails de sa prestation dans ce long métrage à ne pas manquer.
Dans Trois nuits par semaine, tu interprètes en quelque sorte ton propre rôle à travers Cookie. Mais c’est aussi la Cookie de Florent Gouëlou, celle de son scénario. Dans notre entretien, Florent me parlait d’une réinvention commune. Comment as-tu trouvé ta place entre la réalité et la fiction ?
Avec Florent on aimait parler d’un « personnage-oeuvre » : on a utilisé cette Cookie qui existait déjà, dont il s’est beaucoup inspiré pour l’écriture, et on lui a fait raconter autre chose. Moi je m’y suis retrouvé parce que ça restait mon personnage et, dans l’ensemble, mon esthétique. Mais c’était aussi intéressant de raconter des choses différentes, de trouver Cookie dans des situations inédites, dont je n’avais pas l’habitude. Jouer son rôle sous le prisme d’un cinéaste et de son regard, c’était formidable.
Est-ce qu’il y a parfois eu une part d’improvisation de ta part lors du tournage ?
Non je suis resté assez fidèle au scénario, c’était important pour moi. D’abord Florent écrit très bien et c’était important de rester proche de ce qu’il voulait raconter, et de donner mon personnage pour quelque chose qui devait me dépasser un peu, qui est plus grand que Cookie. Après il y a eu du brainstorming ensemble pour les scènes de performance par exemple, c’est un calibrage qui a pu se faire au fur et à mesure et en ce sens c’était un vrai travail d’équipe.
Est-ce que tu as abordé ce rôle dans un premier long métrage de manière différente par rapport aux courts dans lesquels tu as joué, ou est-ce que c’était simplement une continuité ?
Un peu des deux ! Il y a une continuité bien sûr puisque c’est une collaboration qu’on a entamée il y a un certain temps avec les courts métrages, et puis il y a eu tout un temps de préparation. On savait que ça allait être intense, et j’ai d’ailleurs suivi une préparation physique pendant deux mois afin de gagner du tonus et tenir tout un tournage. J’ai voulu lâcher prise et me surprendre dans ce que j’étais capable d’accomplir, je voulais aussi rendre Cookie plus humaine. Dans les courts de Florent, j’e pouvais apparaître un peu comme une sauveuse de situation, un personnage dont on connaissait peu de choses. J’avais envie de souligner la vulnérabilité de Cookie.
Florent m’a emmené vers cette voie avec mon accord, et il a réussi à me préserver autant physiquement qu’émotionnellement. Il a travaillé par exemple à ce que le planning soit adapté au drag, et sur un tournage ça n’est pas évident de prendre en compte notre temps de préparation, notre confort aussi. Plein de choses ont été faites pour que ça se passe bien.
Dans quel état d’esprit as-tu abordé tes scènes tournées hors drag ?
Déjà le confort physiquement n’était pas le même, ça c’était plutôt agréable ! J’étais content de savoir ce que j’étais capable de faire en tant que comédien, même si mon personnage de drag comporte déjà une part de comédie. Je suis content que le personnage de Quentin soit très différent de Romain. C’était important pour moi de transmettre sa sensibilité. Mais en ce qui concerne le jeu en drag ou hors drag, j’ai abordé les deux de la même façon. Évidemment je n’avais pas le masque de Cookie pour me protéger en jouant Quentin, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à faire ressentir sa complexité.
Le film est une comédie romantique mais c’est aussi un film politique. J’ai envie de dire que c’est une comédie romantique et un film politique. Dans quelle mesure dirais-tu que Cookie Kunty est politique ?
Ce qui est politique dans le film, ce n’est pas le personnage en tant que tel mais plutôt la représentation des amours différentes, ou la découverte que Baptiste fait sur lui-même. Le fait que le problème ne soit pas le genre ou l’orientation sexuelle, mais la vie personnelle de Quentin qui est compliquée, ça c’est politique. On ne parle pas de l’homosexualité comme d’un problème autour duquel tout s’effondrerait. C’est un film qui normalise des relations différentes, des vécus différents – ça c’est politique. Mais je ne pense pas que Cookie soit particulièrement politique dans le film.
Et sur scène ?
Il y a toujours un fond politique. Je ne suis, malheureusement, pas la plus investie politiquement, et il y a des artistes drag qui sont plus à même que moi d’être politiques. Mais le fait de faire du drag est militant parce que c’est toujours sujet à controverse. L’acte-même est militant.
A ton sens qu’est-ce qu’une personne concernée comme Florent, qui fait également du drag, a pu apporter en plus au film ?
C’est une justesse dans ce qu’il voulait raconter et montrer. C’est aussi comment éclairer, filmer le drag, il a su prendre cela en considération. C’était important qu’une personne concernée parle de ce sujet car les représentations justes des personnes LGBT, queer ou même du drag restent rares. Et puis comme on l’a évoqué, c’est une collaboration sur le long terme avec Florent et c’était logique que ce film se fasse avec lui.
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Pablo Pauly ?
Il y a quelque chose qui s’est joué un peu en parallèle, d’abord en off où on a appris à se connaître. Et puis lui avait une plus grande expérience du jeu, moi je lui faisais découvrir ce qu’était le drag, lui me faisait partager son parcours et moi le mien. C’est devenu un bon ami.
Le cinéma constitue-t-il une inspiration pour ton drag, as-tu des icônes en tête en particulier ?
J’ai toujours été une sorte d’éponge pour tout. Mon inspiration peut venir autant de personnages de jeux vidéos que du cinéma par exemple. Je pense aussi à Rita Hayworth, Marilyn Monroe, qui sont des drag queens d’une certaine manière. Les femmes fortes de ma vie m’ont inspiré, les Club Kids également.
As-tu des films queer favoris, qui t’ont accompagné ?
Oui, je pense à Paris is Burning de Jennie Livingston qui m’a beaucoup touché, les films de John Waters avec Divine, Kinky Boots de Julian Jarrold, Hedwig and the Angry Inch de John Cameron Mitchell, Priscilla, folle du désert de Stephan Elliott… En France on a plutôt été bercé par des Chouchou, La Cage aux folles ou Pédale douce qui n’étaient pas vraiment la même chose en termes de cinéma queer !
Quel type de public es-tu, as-tu un genre cinématographique de prédilection par exemple ?
J’aime beaucoup le cinéma d’horreur, le fantastique, Quentin Tarantino aussi…
Est-ce que tu verrais bien Cookie dans un film d’horreur ?
Complètement ! Ou même moi en tant que comédien. J’adorerais jouer dans un film d’horreur, un film fantastique, ou même un film policier. J’aimerais voir des personnages drag ou même juste queer dans des contextes différents et que ça soit normalisé. Ou que tout ne tourne pas sur le fait que ce soit des personnages queer. J’adorerais jouer une mère maquerelle de la mafia, ce serait magique !
Est-ce que Trois nuits par semaine a éveillé en toi un désir de jouer ?
Tout à fait, avoir touché à ça de près ça a réveillé une curiosité en moi. C’est un peu comme pour le drag : initialement je n’avais pas l’intention de me lancer, mais à travers mes dessins, ma sœur qui a fait du drag, ça a éveillé quelque chose en moi. C’était aussi une prise de conscience de ce que ça peut apporter aux gens, de l’importance de notre voix. Par ailleurs, après avoir joué ce rôle, ça m’intéresserait de jouer des choses en civil. En drag, j’ai déjà eu l’occasion de faire plusieurs courts métrages, de participer à un documentaire et de jouer dans un long.
Le film tourne en festivals depuis la rentrée, est-ce que tu as pu noter des réactions qui t’ont marqué ?
On a beaucoup de chance, les retours sont très positifs qu’il s’agisse du public ou des médias. On vient de remporter un prix du public au Festival de Mâcon, Harald Marlot a reçu un prix d’interprétation au Festival Jean Carmet, en attendant la suite ! Il y a de belles réactions, de personnes âgées qui ont pris plaisir à découvrir un art dont elles n’étaient pas familières, des personnes émues qu’elles soient homos ou hétéros. C’est un film qui peut toucher tout le monde. Comme le dit mon personnage : « il faut arrêter de s’excuser de vivre », et le film parle de ça. De l’autorisation que l’on se donne à expérimenter, à se délivrer de ce qui nous empêche de nous exprimer, de la peur du regard des autres, du jugement, du rejet. Cette autorisation-là est belle et les gens l’ont ressentie.
Il y a en effet une dimension galvanisante dans le récit, est-ce que c’est quelque chose qui t’a plu à la lecture du scénario ?
Complètement ! Ce tournage c’est deux mois en autarcie, on a créé une sorte de bulle, encore plus en période de covid. Et c’est un récit sur l’empouvoirement, il y a quelque chose de lumineux sur les représentations comme on le disait. J’espère que Trois nuits par semaine trouvera sa place auprès du public queer. Certes il peut aussi toucher un autre public, mais c’est un film qui peut faire du bien aux personnes concernées, où les représentations sont non-stigmatisantes et positives.
Est-ce une lettre d’amour au drag à tes yeux ?
Tout à fait ! Une lettre d’amour au drag, à l’amour, et au cinéma également. Florent est une personne passionnée qui aime profondément le drag et le cinéma, et ça se ressent dans le film. Trois nuits par semaine s’autorise une traversée des genres à partir de ce parcours initiatique, il montre un drag contemporain, travaillé, une élévation de notre art qui est complet et complexe, avec des artisans et des artistes à part entière. C’est un film sur toute une communauté et la solidarité qui nous lie.
Notre critique de Trois nuits par semaine
Notre entretien avec Florent Gouëlou
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 novembre 2022. Un grand merci à Jean-Baptiste Pean.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |