Couronné au dernier Festival de Sundance où le film a reçu le prix du meilleur court métrage d’animation, présélectionné pour les César, Souvenir souvenir est visible cette semaine au Carrefour du cinéma d’animation. Le Français Bastien Dubois questionne avec finesse et sensibilité la mémoire et la représentation du réel dans ce court, durant lequel le réalisateur tente d’en savoir plus sur la guerre d’Algérie. Comment son grand-père l’a t-il vécue ? Pourquoi le sujet est-il devenu un tabou ? Bastien Dubois nous en dit davantage sur ce remarquable court métrage.
Quel a été le point de départ de Souvenir souvenir ?
Ça remonte à très loin. A l’enfance. A l’image de ce grand-père taiseux qui m’impressionnait. Il avait fait la guerre mais je ne connaissais pas son histoire alors qu’à la télé, dans les films, on ne montrait que ça : des récits héroïques, des aventures, de la bravoure… Pourquoi la sienne ne m’était pas racontée ? C’est aussi le racisme de mon grand père, que je ne comprenais pas.
Qu’est-ce qui vous a décidé à utiliser cette technique d’animation pour raconter cette histoire en particulier ?
Pour la partie « cartoon » j’ai voulu trouver un style qui puisse être ambigu. Qui puisse illustrer le récit d’un enfant et être détourné dans une parodie punk comme le fait parfois la pop culture en détournant les canons classiques de l’animation. Ce style devait pouvoir semer le doute dans l’esprit du spectateur, lui faire redouter ce qui allait pouvoir surgir de l’écran.
Pour la partie « carnet de vie » c’est un style que j’avais développé en faisant des tests avec Jorge Gonzalez pour un autre film, un long métrage. Mais trop content du résultat, je n’ai pas voulu attendre et j’ai décidé de l’utiliser pour Souvenir souvenir. Au final le film et le style de Jorge se répondent parfaitement, les multiples couches, les voiles, les traces qui restent, le grattage. C’est tout à fait en lien avec mon sujet. Mais c’est normal. Les récits de Jorge sont aussi intimistes, transgénérationnels. Il est normal qu’on se soit trouvés.
En quoi l’animation constitue-t-elle pour vous un bon outil pour représenter le réel ?
Dans l’animation, nous devons tout recréer de A à Z. Pour moi, cela en fait un médium de création privilégié pour sans cesse remettre en question la représentation du réel. L’animation peut aussi bien représenter le réel que l’abstraction pure. Je voudrais retourner la question : pourquoi ne constituerait elle pas un bon moyen de représentation du réel ? On a tendance à croire que la fantaisie est l’apanage de l’animation ? J’ai tendance à penser parfois que le monde de la prise de vue réelle se recroqueville trop sur la réalité, le physique, le tangible. Les expressionnistes me manquent.
Quels sont vos cinéastes préféré.e.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?
Il y actuellement une mise en lumière de réalisatrices super intéressantes et très inspirantes. Pour ne citer que quelques unes : Reka Bucsi, Martina Scarpelli, Sawako Kabuki, Leahn Vivier Chapas, Chintis Lundgren, Shoko Hara, Alice Saey…
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
J’ai perdu mon corps de Jeremy Clapin. Jeremy n’est pas à proprement parler un nouveau talent mais je pense qu’il a ouvert un pan nouveau dans l’animation adulte. Il a fait entrevoir de nouvelles possibilités formidables pour un cinéma riche, ambitieux et novateur. Il offre lui aussi une mise en scène, un jeu, un rythme qui s’inscrivent, pour partie, dans le réel. Pas pour la main coupée bien sûr mais pour l’univers dans lequel elle évolue. Son monde est tangible. Il est dense et on pourrait même en oublier parfois que c’est de l’animation. C’est fait avec un tel brio que ça a déstabilisé pas mal de monde et j’espère que ça inspirera les décideurs, les financiers, les chaînes, les institutions de soutenir plus de films comme celui-là…. En même temps, il a mis la barre très haut. C’est un film décennal. Un film qu’on retiendra.
Pour le « jeune » talent à surveiller, je dirais Matthieu Garcia. Il a travaillé sur plusieurs de mes films puis en tant qu’assistant réalisateur sur J’ai perdu mon corps. Il a ensuite repris ses études d’animation à La Poudrière à Valence (oui oui, après avoir été assistant réalisateur sur un film qui a eu deux César, une nomination aux Oscars, le grand prix de la Semaine de la critique à Cannes et un cristal à Annecy…) Il vient de terminer Seveso (dentro).
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 février 2021. Un grand merci à Luce Grosjean et Estelle Lacaud.
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