Festival de Cannes | Critique : Yes

Israël au lendemain du 7 octobre. Y., musicien de jazz précaire, et sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leur corps aux plus offrants, apportent plaisir et consolation à leur pays qui saigne. Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national.

Yes
France, 2025
De Nadav Lapid

Durée : 2h30

Sortie : 17/09/2025

Note :

QUAND J’AI PEUR DE RIEN

De quoi Nadav Lapid a-t-il peur ? De pas grand chose visiblement. En effet, le cinéaste israélien ne cultive pas seulement l’audace cinématographique mais aussi un courage citoyen certain, comme lorsqu’il avait créé le scandale en 2022 en dénonçant publiquement la présence d’un film de propagande en compétition au Festival de Goa où il était président du jury. Courage et colère sont les deux sources de son nouveau film intitulé avec une ironie déjà cuisante Yes. La colère était déjà présente un peu partout dans son précédent film, Le Genou d’Ahed, mais la force avec laquelle celle-ci s’exprimait conservait une certaine élégance. Pas d’élégance dans Yes, pas de guillemets, pas de détours. Cette comédie dramatique ne se contente pas de métaphores pour dénoncer le génocide en cours en Palestine : Yes met les pieds dans le plat avec une vulgarité et une brutalité qui laissent bouche bée.

De quoi Nadav Lapid a t il peur ? En tout cas pas du mauvais goût ni du risque du ridicule et ce sont deux qualités en or qui distinguent les bons cinéastes des très grands. Yes ne réussit peut-être pas à viser juste avec toutes les armes qu’il balance sur sa cible, mais le résultat ressemble par moments si peu a la définition de ce qui constitue un film d’auteur sérieux qu’on finit très vite par se demander quand est-ce qu’on a vu ça sur grand écran pour la dernière fois ? Le portrait que Lapid fait des dirigeants israéliens, de leurs lécheurs de botte et de tous les lâches qui se réfugient dans un hédonisme superficiel est d’une telle acidité hystérique et bouffonne qu’elle met la misère ultime aux caricatures de Ruben Ostlund dans Sans filtre (non pas que les deux films se ressemblent beaucoup, mais quel film ressemble à Yes ?). Lapid ne rit pas, il crie, et sa caméra semble parfois trembler de rage.

La première heure de Yes est la plus folle, ou la moins digeste, selon le point de vue. Il serait impardonnable de trop en révéler sur les choix musicaux débiles, sur les dialogues ou les images hallucinantes que l’on y croise, tant ceux-ci bâtissent une stupéfaction susceptible de diviser comme jamais. La suite de Yes change de rythme, de ton et de mise en scène pour un résultat qui ressemble davantage à ses films précédents. Dans cette transition, le film perd de son côté unique et imprévisible, et gagne en échange un effet de réel qui frappe fort, pointant sa caméra en direction de Gaza enfumé à l’horizon. Le virage d’une partie à l’autre est si sec qu’il donnerait presque le coup du lapin, et cela ne participe pas à rendre cette expérience de visionnage plus facile à appréhender – mais combien de films peuvent se vanter de nous faire sortir de la salle avec la tête qui tourne à ce point ?

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par Gregory Coutaut

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