TIFF 2024 | Critique : Without Air

Une professeur de littérature d’une petite ville hongroise recommande à ses élèves de voir le film Rimbaud Verlaine d’Agnieszka Holland sur la vie d’Arthur Rimbaud pour les aider à mieux comprendre le symbolisme de ses poèmes et l’époque à laquelle ils ont été écrits. Cette suggestion suscite la colère des parents et du conseil d’administration de l’école, étant donné que le film dépeint la relation entre Rimbaud et Verlaine. 

Without Air
Hongrie, 2023
De Katalin Moldovai

Durée : 1h45

Sortie : –

Note :

LA CAGE DORÉE

On ne peut pas dire qu’il existe actuellement une pénurie de films sur l’école. Les salles de classes font partie, au même titre que les hôpitaux, des décors/synecdoques les plus récurrent.e.s pour les films cherchant à faire un portrait de nos sociétés. Mais plutôt que de sages lieux d’apprentissages, de plus en plus d’œuvres font des écoles le théâtre de terreur et d’injustice sociales les plus éprouvantes. Après le français Pas de vagues ou l’allemand La Salle des profs (rien que parmi les exemples de ces derniers mois), c’est de Hongrie que nous arrive aujourd’hui Without Air, premier long métrage de la réalisatrice Katalin Moldovai. Le pays a justement connu un important mouvement de grève des professeurs il y a deux ans, en réaction aux mesures sociales controversées du gouvernement conservateur. Ce contexte tendu apporte un relief supplémentaire à Without Air qui peut se lire comme une métaphore de la contamination de la pensée fascisante, mais les faits qui s’y déroulent pourraient en réalité avoir lieu n’importe où. C’est d’ailleurs probablement déjà le cas.

Ana Bauch travaille depuis des années dans le même lycée. C’est une professeure de littérature et de théâtre respectée et même aimée de ses élèves. Une situation pour ainsi dire idéale, mais traitée sans naïveté. Quelques signes avant-coureurs au second plan laissent néanmoins présager un malheur : la télévision annonce une tornade inattendue, et l’on installe au lycée un ours certes empaillé mais à l’allure menaçante. Faudra-il rester sur ses gardes ? Au détour d’un cours sur la poésie française, Ana conseille à ses élèves de visionner le film Rimbaud Verlaine d’Agnieszka Holland. La simple mention de la relation homosexuelle unissant les deux poètes suffit pour qu’un parent d’élève vienne dès le lendemain matin, porter plainte en personne contre elle. Pour quelle raison? Les mots homosexualité ou homophobie ne sont jamais prononcés une seule fois dans le film. Cette haine-là va visiblement tellement de soi pour les lâches conservateurs que des sous-entendus suffisent bien.

Le lycée d’Ana devient rapidement un enfer, et cela est entièrement la faute des adultes : des collègues traîtres en chignons stricts en passant par les papas beaufs les plus brutaux, tous ont beau brandir l’argument du bien-être de l’enfant, ils haïssent visiblement la jeunesse et la liberté. Ce n’est pas le cas du film, qui dès son ouverture nous invite à prendre place parmi les élèves et à lâcher prise à leur côté. Le récit à suspens de Without Air est très efficace (le film a d’ailleurs remporté le prix du public au dernier Festival d’Arras) mais c’est sans doute dans son traitement visuel qu’il trouve davantage sa personnalité propre. Dans ce décor pas spécialement chic mais au cachet d’une autre époque, les couleurs sont celles de la nature (verts, ocres, boiseries), et le travail remarquable sur la lumière douce et nette à la fois les transforme en jolis pastels désaturés. Les plans sont élégamment composés, au point que ce lycée ressemblerait presque à un catalogue d’ameublement zen. Derrière cette beauté ordonnée, on comprend que les personnages sont justement enfermés dans un un système faussement accueillant mais rigide en réalité. La douce prison des apparences et de l’ordre à maintenir coûte que coûte : voilà ce que démonte brillamment Without Air.

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par Gregory Coutaut

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