Critique : Une famille

L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille.

Une famille
France, 2024
De Christine Angot

Durée : 1h22

Sortie : 20/03/2024

Note :

DE VOUS À MOI

Une famille n’est pas la première incursion de l’autrice Christine Angot au cinéma, mais les occurrences précédentes étaient toutes passées par le regard d’autres créatrices : ses romans adaptés par Laëtitia Masson ou Catherine Corsini ou encore le scénario d’Un beau soleil intérieur co-écrit avec Claire Denis. Une famille est le premier long métrage qu’Angot signe elle-même. Elle y est présente de la première à la dernière minute, filmée de près par la chef opératrice Caroline Champetier, mais cela suffit-il à dire que le sujet du film n’est rien d’autre qu’elle-même ? Cet amalgame a souvent été utilisé pour décrire et même dénigrer son œuvre littéraire ou le Je est déjà un outil bien particulier. Dans son film comme dans ses livres, le Je n’est pas là pour ne parler que de soi.

Dans Une famille, Christine Angot revient sur le viol commis par son père. Une nouvelle fois, serait-on tenté de rajouter, tant cet événement raconté dans son roman le plus célèbre, L’inceste, a été revisité dans son œuvre. Raconter une fois de plus ? Justement non. Comme l’indique le titre, il n’y a pas là que le « sujet Angot » (pour reprendre le titre d’un de se premiers romans): il y a sa famille. Celle qu’elle a choisi et celle qu’elle a subi. L’inceste est certes au cœur du film, mais cette fois-ci la question n’est pas tant de documenter comment elle vit avec, mais d’aller demander aux autres l’effet que cela a eu sur eux : sa mère, son ex-compagnon, sa fille etc. La question a de quoi être explosive, et ce documentaire l’est tout autant.

Placée en quasi ouverture de ce documentaire se trouve d’ailleurs une scène proprement incroyable de « retrouvailles » entre Angot et son ex belle-mère. D’une impudeur sans garde fou et d’une tension dingue à rendre jaloux tous les films de home invasion, cette séquence de saut dans le vide thérapeutique évoque les coups de génies d’Anna Odell ou Adina Pintilie. Comme leurs films, Une famille est empli d’une tension où la brutalité des échanges frise parfois un certain surréalisme. Cette violence folle fait néanmoins pâle figure face à celle des images d’archives glaçantes d’Angot livrée aux moqueries misogynes sur le plateau d’Ardisson il y’a vingt ans.

Ce n’est sans doute pas dans le but de reprendre le contrôle de son portrait médiatique qu’Angot a choisi à son tour la caméra comme outil narratif. Connue pour son intransigeance sur les mots et les interprétations, l’autrice pousse encore plus loin la recherche de l’exactitude en utilisant la captation comme une sorte de preuve ultime, d’archive irréfutable. Des images réelles prises sur le vif plutôt que les images mentales de la littérature.

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par Gregory Coutaut

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