Critique : Smoke Sauna Sisterhood

Dans l’intimité des saunas sacrés d’Estonie, tous les rituels de la vie se croisent. Les femmes y racontent ce qu’elles taisent partout ailleurs, et dans la fumée des pierres brûlantes, la condition féminine apparaît, dans toute sa vérité et sa force éternelle.

Smoke Sauna Sisterhood
Estonie, 2023
De Anna Hints

Durée : 1h29

Sortie : 20/03/2024

Note :

A L’ABRI DES REGARDS

Quelque part au fin fond de la forêt estonienne, prêt d’un lac où aucun humain ne semble vivre, se trouve une petite cabane de bois. Quels secrets de conte de fées peuvent bien renfermer ses murs exigus ? La caméra pénètre dans sa pénombre et l’on découvre qu’il s’agit en réalité d’un sauna et plus précisément d’un sauna à fumée, un lieu traditionnel propre à la communauté võro, possédant ses propres rituels, inscrit par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La réalisatrice Anna Hints (dont c’est ici le premier long métrage) suit au fil des saisons un groupe de femmes venant se retrouver dans ce lieu bien particulier..

Dans l’espace ténébreux du sauna, la lumière ne filtre qu’à travers une petite vitre ou quelques fissures entre deux planches, et les rayons de lumières viennent donner des airs magiques à ces réunions féminines secrètes comme des sabbats de sorcières. Anna Hints filme ces femmes-là avec un mélange étonnant de proximité et d’anonymat : comment les reconnaître ou les distinguer l’une de l’autre quand, presque comme dans un film de Pedro Costa, la lumière ne vient éclairer qu’une partie de leur anatomie, un coude, des seins, un ventre… ?

Dans cet espace qui ressemblerait presque à un confessionnal s’il n’était pas au contraire entièrement dédié au laisser-aller et à la détente des corps, ces femmes laissent libre cours à la parole, échangeant tantôt des anecdotes drôles et des souvenirs traumatisants. La caméra de Hints fait le choix de ne presque jamais filmer directement celle qui parle, se concentrant plutôt sur les visages ou le langage corporel de celles qui écoutent. Le tour de passe-passe de Smoke Sauna Sisterhood n’est pas seulement de filmer la nudité en évitant le voyeurisme, c’est de nous faire partager l’intimité de ces personnes, de connaître leur histoire en profondeur, sans pour autant nous inviter à les identifier clairement.

A plusieurs reprises, Anna Hints filme en effet la fumée qui circule entre ces femmes, comme si elle voulait filmer l’invisible, filmer un sentiment de sororité chaleureuse qui circule de personne à personne, de génération à génération. Parfois, comme par la magie d’effets spéciaux, le visage de l’une d’entre elles vient même se superposer à la fumée. Ce détail, associé à de mystérieux rituels chantés parfois proche d’une transe mystique, vient donner au film un aspect presque surnaturel, comme si nous étions dans un lieu sacré où tout était possible, notamment celui de devenir plus puissante. Lauréat mérité du prix de la mise en scène dans la section documentaires internationaux du Festival de Sundance, Smoke Sauna Sisterhood est un film puissamment chaleureux et puissant tout court.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article