Critique : Trois nuits par semaine

Baptiste, 29 ans, est en couple avec Samia, quand il fait la rencontre de Cookie Kunty, une jeune drag queen de la nuit parisienne. Poussé par l’idée d’un projet photo avec elle, il s’immerge dans un univers dont il ignore tout, et découvre Quentin, le jeune homme derrière la drag queen.

Trois nuits par semaine
France, 2022
De Florent Gouëlou

Durée : 1h43

Sortie : 09/11/2022

Note :

NUIT MAGIQUE

Ce sont d’abord des photos que l’on voit dans Trois nuits par semaine : des visages de drag queens belles et mystérieuses. Baptiste (Pablo Pauly), en couple avec Samia (Hafsia Herzi), découvre un monde qui lui est inconnu : celui du drag. Le jeune homme est armé de son appareil photo et c’est là le point de départ archétypal du premier long métrage de Florent Gouëlou (lire notre entretien) : le public est invité à pénétrer dans cet univers étranger en même temps que le héros. Un début archétypal, mais aussi un peu sage. Heureusement, avec une grande finesse d’écriture, Florent Gouëlou (lui-même drag queen) se détourne vite de la formule assez scolaire et pose avec intelligence la question du point de vue. Certes, Baptiste regarde, avec ses yeux comme à travers son objectif. Oui, il emmène le public avec lui et sert de passeur. Mais, et c’est la richesse d’avoir une personne concernée derrière la caméra : le film ne va pas s’arrêter là.

Car Baptiste est finalement autant regardé que regardant et c’est la précieuse dynamique sur laquelle le film fonctionne. Celui-ci peut s’adresser à un public hétéro qui ne connaît rien au drag, mais le cinéaste sait comment décentrer, faire en sorte que les queens prennent la place qui leur est due dans le film – certainement pas un strapontin – et par là s’adresser à un public queer pour qui cette scène n’est pas inconnue. « Ces gens-là », c’est nous. C’est une manière d’inviter chaque public, sans partir du principe que l’un appartient davantage à la marge que l’autre. Et c’est aussi ce qui se trame à l’écran, lorsque Gouëlou floute les frontières entre les différences, questionnant ce qui est considéré comme (hétéro)normé et ce qui ne l’est pas – Trois nuits par semaine n’est d’ailleurs jamais un film sur les difficultés de Baptiste à aimer un garçon. Baptiste regarde Cookie, mais Cookie le regarde aussi et cet amour, comme un coup de foudre de comédie romantique, ne s’explique pas.

Subtilement politique, Trois nuits par semaine sait aussi être un galvanisant récit d’empowerment queer. C’est un film qui, épousant la dimension spectaculaire du drag, sublime ses reines, parées comme Hedy Lamarr ou ornées d’une traine de paon, apparitions almodovariennes ou double réel de Jessica Rabbit, dessinées au néon ou baignées par la lumière de Vadim Alsayed. C’est un film où, pour faire taire des homophobes, des personnes queer passent la musique de Divine plus fort, occupent l’espace (physique ou sonore) sans s’excuser d’être là : le sentiment libérateur du drag devient contagieux sous l’œil du réalisateur.

On voit d’ailleurs dans Trois nuits par semaine de nombreux visages (et des wigs, et des lashes, et des nails) bien connus de la scène drag française. Le film est une émouvante lettre d’amour à cet art queer, dépeint probablement pour la première fois de cette manière dans le cinéma français. Florent Gouëlou raconte l’intimité et l’amour naissant entre Baptiste et Quentin/Cookie, mais Trois nuits… est aussi, à plus grande échelle, un film de troupe (avec ses brillants scene stealers comme Harald Marlot). De façon plus méta, de ses courts à ce long métrage, le cinéaste fait le portrait de la persona Cookie Kunty (lire notre entretien), que Gouëlou a dirigée dès Un homme mon fils. Licorne dans Beauty Boys, amoureuse dans Premier amour, elle est au centre de ce récit qu’elle (et Romain Eck, derrière le maquillage) portent avec charisme et talent.

Défaut commun à beaucoup de premiers longs métrages, Trois nuits par semaine est peut-être un film trop plein et semble avoir peur du vide. Chaque scène ou presque a un sens et fait avancer le récit. C’est la qualité efficace d’un scénario qui roule sans jamais s’arrêter, mais la profondeur peut venir aussi des respirations qu’on laisse dans un film. Cela est largement compensé par la générosité dont Florent Gouëlou fait preuve, qu’il s’agisse de son sens des dialogues ou de son regard chaleureux. Il signe une romance très attachante, à la fois simple et ambitieuse. Derrière les strass, derrière le fond de teint, derrière les breastplates, il y a un cœur gros comme ça.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article