Festival de Rotterdam | Critique : The Fruit

Un jeune couple vit dans un petit appartement en ville. Lui gagne peu d’argent et elle est enceinte. À travers leurs brefs échanges et leurs moments de solitude, il devient clair que leur relation, sans s’en rendre compte, frôle le point de crise.

The Fruit
Chine, 2025
De Li Dongmei

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

FRUIT AMER

Mama, le premier long métrage de la Chinoise Li Dongmei, était une révélation. Resté inédit en France (il a néanmoins été diffusé au précieux Festival de Films de Femmes de Créteil), Mama racontait l’histoire d’une jeune fille perdant sa mère. Il est à nouveau question de lien mère-enfant dans le second film de la réalisatrice, The Fruit (Guo Ran) – mais cette fois, l’héroïne est une trentenaire qui se trouve au début de sa grossesse. Les deux œuvres sont, à première vue, assez différentes, presque des reflets inversés, qu’il s’agisse du décor (rural pour le premier, citadin pour le second) ou des partis-pris formels (une caméra qui est ici beaucoup moins à distance que dans Mama).

The Fruit débute par un plan sur l’héroïne, de dos, regardant et commentant de manière tout à fait factuelle des images de grossesse et précisant la taille de son futur enfant. On ne voit pas encore vraiment le visage de Yu, mais Li Dongmei a le chic (et le talent) pour rendre ses plans expressifs, même dans un absolu minimalisme. C’est d’ailleurs le blanc et ses dégradés qui dominent, en tout cas dans les intérieurs qui sont autant de cocons solitaires. Yu a un compagnon, mais Yu enceinte est seule. Seule quand elle s’inquiète, seule quand elle prend ses médicaments, seule quand elle est contrainte d’aller à l’hôpital. Lui ressemble à un grand ado qui ne se sentirait pas vraiment concerné, ou qui finirait par lancer une remarque passive-agressive. Li Dongmei filme la charge mentale qui pèse sur Yu avec une grande subtilité – pas besoin d’avoir recours à de grands éclats de voix pour dépeindre ce qui fissure le couple.

Voilà ce que Yu traverse et affronte, mais Li Dongmei va plus loin que le simple portrait-de-femme-digne. Le récit est à la fois extrêmement simple mais aussi énigmatique à force de silences, une formule qui peut rappeler le cinéma d’Angela Schanelec. The Fruit n’est pas qu’un film d’épreuves à surmonter, c’est aussi une œuvre qui donne finement à partager le quotidien de son héroïne, son intimité profonde et complexe. Lorsqu’elle écrit au bord du lit, on ne voit jamais ce qu’il y a sur son carnet – et pourtant c’est tout comme : on a l’étrange sentiment de savoir, même sans avoir vu. Li Dongmei sait aussi, avec un talent remarquable, dépeindre une relation à travers ses silences : elle et lui qui mangent leurs nouilles en temps réel, elle et lui sur leur téléphone ou leur ordi, elle et lui encore lors d’une sieste.

Il est beaucoup question de siestes dans The Fruit. A l’activité de la ville s’oppose le silence de l’appartement. Yu fait une sieste dans un cadre élégamment composé, avec différents verts tendres autour d’elle. Les plans de nature (une forêt, un parc) se prêtent aussi à la sieste. La réalisatrice elle-même, lors de la présentation en première mondiale à Rotterdam, a indiqué au public qu’elle ne voyait aucun inconvénient si des spectatrices ou spectateurs faisaient la sieste devant son film. Le Français Matthias Delvaux, directeur de la photographie pour Xinyuan Zheng Lu, Johnny Ma ou Pema Tseden, enveloppe effectivement les protagonistes – et nous avec. Lors d’un plan superbe qui donne à Yu l’espace qu’elle mérite, la vie et son tumulte semblent s’arrêter pendant la sieste – et pourtant la vie continue.

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par Nicolas Bardot

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