Berlinale 2019 | Critique : The Body Remembers When the World Broke Open

En pleine rue, Áila tombe sur Rosie, visiblement en détresse. Elle décide de la recueillir chez elle.

The Body Remembers When the World Broke Open
Canada, 2019
De Elle-Máijá Tailfeathers, Kathleen Hepburn

Durée : 1h45

Sortie : –

Note :

FEMMES AU FOYER

Que le ciel est gris et bas dans cette partie nord de Vancouver. Un ciel que n’aurait pas renié la Kelly Reichardt de Certain Women, ou la Courtney Hunt de Frozen River. Un ciel qui donne envie de rentrer chez soi se calfeutrer, mais qui envoie aussi d’emblée le signal que l’horizon est bouché. Et l’horizon est encore plus lourd quand on est une femme, a fortiori une femme racisée, enceinte, prise dans une relation violente. Quand Áila tombe la première fois sur Rosie en pleine rue, celle-ci est dans un état de vulnérabilité extrême, pieds nus sous la pluie. Au sens propre comme au figuré, le ciel est déjà en train de lui tomber sur la tête.

The Body Remembers When the World Broke Open (l’un des plus beaux titres de films vus depuis longtemps!) débute par une réaction instinctive des plus immédiates. C’est l’instinct qui dicte à Áila de prendre Rosie sous son aile et d’immédiatement la mettre à l’abri chez elle. Et nous aussi nous voilà pris dans l’urgence de la situation, collés à quelques centimètres à peine de ces deux jeunes femmes qui chuchotent nerveusement. Passé trois mini-scènes d’introduction, The Body Remembers… se compose en effet d’un seul et unique plan séquence de plus d’1h30, tourné en temps réel dans la rue, dans des taxis, dans des foyers. Particulièrement immersif, le résultat est impressionnant.

Cette prouesse technique n’est pas qu’un gimmick à visée spectaculaire. Paradoxalement, c’est même l’inverse d’un spectacle que filment les deux coréalisatrices (lire notre entretien). A l’abri entre quatre murs (d’abord ceux du cocon douillet d’Áila, puis ceux d’un foyer d’accueil), c’est une parole secrète qui va se libérer, ainsi qu’une vibrante sororité. Áila et Rosie ne pourraient pas avoir l’air plus différentes. L’une bougonne dans son jogging sale et vole en cachette tandis que l’autre écoute des 33T de Joni Mitchell assise à la fenêtre. Elles partagent pourtant un héritage natif commun : l’une est amérindienne, l’autre est métisse amérindienne et sami.

« Le personnel est politique » disait cette année le slogan de la Berlinale. A travers les aspérités de ce récit de solidarité féminine, The Body Remembers… parle de convergences de luttes. Les inégalités sociales, la violence colonialiste, la misogynie : autour de ces deux jeunes femmes, tout concourt à faire du monde un environnement toxique dans lequel on ne peut naviguer qu’en jouant des coudes, qu’en courant en retenant sa respiration, avant de trouver un refuge. C’est aussi de ces corps essoufflés, inquiets dont nous parle le film. Des corps racisés silencieux par la force des choses. Des corps politiques.

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par Gregory Coutaut

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