Festival de Busan | Critique : Taste

Un Nigérian passe sa journée dans les bidonvilles sombres et peu accueillants de Ho Chi Minh-Ville. Il est apparemment familier avec cet environnement sans soleil. Lorsque son contrat avec une équipe de football est résilié, il emménage avec quatre Vietnamiennes entre deux âges…

Taste
Vietnam, 2021
De Lê Bảo

Durée : 1h37

Sortie : –

Note :

RETOURNER LE MONDE

Ce qui frappe avant tout dans Taste (et quel film frappant !), c’est sans doute la majesté de ses cadrages rigoureux qui découpent l’ensemble en une succession à ravir de tableaux magnétiques. A moins qu’il s’agisse de la manière dont ces toiles sont ouvragées par un remarquable ciselage de la lumière et la photo, faisant surgir de l’obscurité des monochromes et quelques reflets dorés soulignant, telle une respiration, les anguleux reliefs de ce huis-clos ? Ou bien cet imposant silence de musée, dans lequel les secrets sont à peine chuchotés par un trou de souris ? Peu importe. Taste est le tout premier long métrage du jeune cinéaste vietnamien Lê Bảo (lire notre entretien), et c’est déjà un tour de force de mise en scène.

Taste ne nait pas de nulle part et l’on y retrouve les échos de deux illustres maîtres du cinéma contemporain : Tsai Ming-Liang et Pedro Costa. A leur manière, Lê Bảo sculpte l’ombre et le temps, transformant des objets quotidiens en symboles irréels (une montgolfière devient comme une baleine, un tissu bleu ressemble à un océan…). Cette gigantesque dimension mythologique saisit d’autant plus que le décor est ici un recoin oublié à la marge de la marge. Un homme nigérian et quatre femmes vietnamiennes entre deux âges cohabitent dans un mystérieux espace aux murs bruts. Ils vivent nus, blessés, avec pour seule compagnie un cochon prêt à être mangé. Sont ils en prison ? Dans un atelier clandestin ? Un laboratoire secret ? Quelle malédiction plane sur cette communauté de marginaux ?

Les personnages muets y sont réduits à des simples corps, comme des animaux, et pourtant on chuchote l’histoire d’un homme qui se serait changé en pur esprit. Taste obéit à une logique rêveuse et poétique. On pourrait le lire comme une pure proposition plastique, mais c’est aussi un film puissamment politique. Un film qui pour dénoncer, n’a pas besoin de surligner les réponses aux questions qu’il soulève. Ce n’est pas un hasard si on ne voit jamais un coin de ciel bleu dans ce film-monde hypnotisant, peuplé d’inoubliables visions. Mais en cachette, en secret, dans cette cave des origines, un mystérieux rituel se prépare, et on devine qu’il sera suffisamment fort pour retourner le monde.

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par Gregory Coutaut

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