Festival de Locarno | Critique : Sleep #2

Une fleur tombée
remonte à la branche
un papillon !
(Moritake)

Sleep #2
Roumanie, 2024
De Radu Jude

Durée : 1h01

Sortie : –

Note :

ANDY NOUS L’AVAIT BIEN DIT

Depuis le 6 août 2013, date à laquelle Andy Warhol aurait pu fêter ses 85 ans, le Musée Warhol de Pittsburgh diffuse en continu des images de la tombe de l’artiste, située dans un cimetière en Pennsylvanie. Ce dispositif pourrait ressembler à une œuvre de Warhol lui-même avec un motif dupliqué à l’infini, et trouve également un écho dans la filmographie du Roumain Radu Jude (lire notre entretien). D’abord parce que Jude filmait déjà toute une collection de tombes lors d’une scène géniale de N’attendez pas trop de la fin du monde, ensuite, comme nous le rappelions dans notre article consacré à Eight Postcards from Utopia, le réalisateur a un goût tout particulier pour les compilations. Aux collages de publicités tonitruantes de la Roumanie postsocialiste succède leur exact opposé : un montage de plans fixes sur une pierre tombale.

Le titre du film fait référence à l’œuvre Sleep dans laquelle Warhol filmait le poète John Giorno assoupi. Le sommeil d’Andy Warhol est éternel et le temps passe autour de lui. La caméra ne se pose pas de question, filme nuit et jour, qu’il fasse beau temps ou qu’il pleuve. Des haïkus apparaissent de temps à autre à l’image, les saisons changent, mais quoi de plus immuable qu’une tombe ? Autour c’est toute une ribambelle d’êtres humains qui vont et viennent. On dépose de fleurs ou, bien sûr, des cannettes de soupe Campbell. On vient en short ou respectueusement vêtu de noir. On se prend en photo, on chante à la guitare, on se pointe déguisé en Warhol. L’image muette n’apporte jamais de contextualisation sur ce que chacune et chacun viennent faire – c’est parfois évident, parfois plus mystérieux. Des gens piétinent, on ne perçoit au mieux que les vagues bruits d’une langue indistincte, on se plante les mains sur les hanches devant ce monument à visiter si bien que les visiteuses et visiteurs finissent par ressembler à des Sims.

Comme dans Eight Postcards, Radu Jude donne à voir des plans qui ne sont pas faits pour être vus sur grand écran – à savoir des images à définition moyenne et à gros grumeaux. Une tondeuse ou une pelleteuse peuvent s’inviter involontairement dans le cadre, comme tous les animaux du coin : biches, écureuils, lapins. Le concept de Sleep #2 est-il au final plus puissant que le ressenti ? C’était déjà une question qu’on pouvait poser face au film de Warhol, mais il y a pourtant une absurdité vivante et intrigante dans ce concept à la fois sérieux (c’est la tombe d’un grand artiste, visitée par des admiratrices et admirateurs jour après jour) et ridicule (la caméra s’acharne à filmer… une absence radicale d’événements). Ici, un léger zoom modifie le cadre, là, la lumière du jour varie. Andy Warhol va-t-il sortir de sa tombe ? Le projet mis en place par le musée et le montage opéré par Jude font un clin d’œil malin à l’une des fameuses citations de l’artiste américain : « L’idée n’est pas de vivre éternellement, mais de créer quelque chose qui sera éternel ».

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par Nicolas Bardot

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