Clint, un homme brisé, vit seul au cœur d’une toundra gelée. Malgré son isolement, il ne peut ni s’échapper du monde ni trouver la paix. Un soir, il se lance dans un voyage à travers ses rêves, ses souvenirs et son imagination, essayant de se frayer un chemin dans l’obscurité vers la lumière…
Siberia
Italie, 2020
De Abel Ferrara
Durée : 1h32
Sortie : –
Note :
SOUVENIRS DE MA MORT
La parole a une curieuse place dans le nouveau film d’Abel Ferrara. Au début il n’y a qu’elle: alors que l’image est encore noire, la voix-off de Willem Dafoe nous raconte à la première personne du singulier une anecdote enfantine, sur le ton des confessions les plus sacrées. Elle est ensuite multiple dans les intrigantes premières scènes. Dans un improbable chalet perdu dans la plus profonde Sibérie, Willem Dafoe accueille les visiteurs du monde entier, aux langages non sous-titrés. Est-il un barman pour voyageurs fourbus? Un ermite fuyant la communauté humaine? Une divinité à qui l’on viendrait faire des offrandes ou d’humbles requêtes? Dans sa généreuse simplicité, Siberia ne tranche pas pour nous entre tous ces possibles.
Puis la parole se fait plus rare. Elle se transforme en monologue intérieur à mesure que cet homme mystérieux se lance dans un non moins étrange voyage fait de souvenirs et de visions. Des neiges éternelles au désert, Abel Ferrara nous entraine sur le terrain inattendu d’un fantastique minimal. Une succession de tableaux, sans liant narratif évident mais emplis d’une tension lugubre qui offre comme un écho au Lars Von Trier d’Antichrist.
Est-ce que Siberia raconte une descente aux enfers ? Une expérience de mort imminente ? Une introspection mystique ? On aimerait en tout cas voir Ferrara embrasser plus encore cette abstraction, en se délestant au passage de ces considérations christiques un peu désuète sur la souffrance sacrificielle. On aimerait oublier ces différentes scènes où Dafoe, sexagénaire, fait jouir a qui mieux-mieux des mannequins de 25 ans qui n’attendent visiblement que de baisser leur culotte pendant que monsieur négocie avec le Grand Tout. Derrière cet embarras parfois risible, Siberia possède une qualité rare, peut-être la plus grande de toute : l’absence de peur face au ridicule. Cela lui porte parfois préjudice, mais cela confirme aussi son caractère unique de geste artistique audacieux.
L’Oursomètre : plus que tous les autres films de la compétition, la présence de Siberia au palmarès relève du quitte ou double. En cas de division du jury, Willem Dafoe peut faire un prix d’interprétation mérité.
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par Gregory Coutaut