A voir en ligne | Critique : Si Beale Street pouvait parler

Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d’une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer…

Si Beale Street pouvait parler
États-Unis, 2018
De Barry Jenkins

Durée : 1h59

Sortie : 30/01/2019

Note : 

NOUS LES AMOUREUX

A l’origine du nouveau film de Barry Jenkins, il y a le roman du même nom – tout aussi bouleversant – de James Baldwin. A plusieurs égards, Beale Street n’est pas exactement le film auquel on pouvait s’attendre de la part du réalisateur de Moonlight, mais de même manière, le roman n’était pas tout à fait celui qu’on attendait de Baldwin. La langue de l’écrivain américain était souvent puissante mais dure, trouvant ses racines dans l’intersection douloureuse entre minorité racisée et minorité sexuelle. Or l’histoire de Beale Street est étonnamment bienveillante, pleine comme un œuf d’une chaleur humaine incandescente.

La forme de Beale Street pourrait paraitre classique. La direction artistique est particulièrement généreuse (rien que les costumes sont un plaisir), les couleurs vives, la voix off et les nombreux morceaux de musique pourraient presque nous bercer si ce n’était ce montage vivant, et cette structure narrative particulière. On pourrait – à raison – d’abord argumenter qu’utiliser une forme cinématographique classique pour parler du quotidien de la minorité afro-américaine – surtout dans le cadre d’une reconstitution historique avec un certain budget – c’est déjà un acte politique, c’est déjà un sacré message. Mais il ne faudrait surtout pas non plus s’arrêter là.

D’une part car la forme n’est pas si classique qu’il n’y paraît. Pour filmer les regards francs et ouverts de ses comédiens – tous excellents – Jenkins utilise beaucoup un type de plan bien particulier : des gros plans dont la composition est telle qu’elle donne l’impression que les visages se déploient comme dans un panoramique et se détachent presque comme dans un film en 3D. L’effet est discret mais saisissant. Ces regards nous disent les yeux dans les yeux « tout va bien se passer » et c’est comme si on entendait cela pour la toute première fois. Ces sont ces plans qui disent le plus fort ce que le film murmure pourtant depuis le début : la vulnérabilité n’est pas une faiblesse, un regard amoureux est aussi puissant qu’un poing levé haut.

Car la douceur de Beale Street n’est jamais mièvre. Il s’agit autant d’une histoire d’amour que d’une histoire de condamnation. Suite à l’arrestation de Fonny par un flic raciste, son entourage se démène comme Sisyphe à tenter de réparer l’injustice. Que l’amour puisse déplacer les montagnes, la formule a de quoi faire rire cyniquement. Mais ici la chaleur humaine est une force, elle est à la fois le feu qui aide à survivre et l’incendie qui abat les murs.

On pouvait se demander pourquoi Jenkins avait choisi d’adapter précisément ce récit entièrement hétéro de l’icône queer qu’est Baldwin. Or cette histoire de survie est justement racontée par le prisme de la solidarité. Celle qui est indispensable quand on fait partie d’une minorité, quelle qu’elle soit, car elle est à la fois un filet de secours et un bouclier. De fait, on a parfois l’impression qu’en filigrane, Beale Street nous parle aussi de la communauté queer à travers ce couple d’amoureux heureux mais obligé de vivre caché et de compter sans cesse sur un réseau d’entraide de leur entourage. L’amour est un travail collectif et patient nous dit le film, mais il nous montre aussi que la bienveillance est une vertu militante et que l’entraide est comme une locomotive qui transperce la terreur.


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par Gregory Coutaut

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