Festival Visions du Réel | Critique : Shahid

La réalisatrice iranienne Narges Kalhor veut ôter « Shahid » de son patronyme, héritage d’un bisaïeul signifiant « martyr ». Elle engage une actrice pour jouer le film de ce processus, mais les obstacles surgissent : son arrière-grand-père la hante, la bureaucratie allemande est un enfer et les acteur·ice·s se révoltent. Une comédie politique délirante et hautement inconventionnelle.

Shahid
Allemagne, 2024
De Narges Kalhor

Durée : 1h23

Sortie : –

Note :

MON NOM EST PERSONNE

Et si le puzzle était le meilleur moyen de faire un autoportrait ? Et si laisser l’imagination s’envoler loin était le meilleur moyen de naviguer dans la réalité ? Dans ce documentaire intime, inspiré de sa propre histoire et tourné en Allemagne où elle réside, la réalisatrice iranienne Narges Kalhor n’apparait tout simplement pas. Son personnage est pourtant bien là, dans tous les plans du film, mais il est interprété par une actrice. Celle-ci rejoue des scènes de la vie de la cinéaste, obéissant avec plus ou moins de bonne volonté aux indications que lui donne cette dernière depuis derrière la caméra. Voilà un documentaire qui ne manque pas d’humour (la scène où l’actrice est surprise en train de se moquer en cachette de ce projet nombriliste est-elle réelle ou fictionnelle ?) et qui n’a pas peur de prendre ses distances avec le réalisme.

Tout débute pourtant avec une démarche administrative tout ce qu’il y a de plus tangible : il y a quelques années, Narges Kalhor a souhaité changer officiellement de nom et retirer de son patronyme le terme shahid signifiant martyr et trop religieusement connoté à ses yeux. Le dédale administratif dans lequel elle s’est alors retrouvée est ici rejoué sans qu’il y ait besoin d’en forcer le trait, jusqu’aux rendez-vous imposés avec un psychologue. Là où la réalisatrice s’offre davantage de folie, c’est quand elle choisit de faire accompagner en permanence son propre personnage d’une sorte de chœur antique iranien entièrement masculin, obsédé par les dogmes patriarcaux et ne s’exprimant que par psaumes ésotériques absurdes. Pire, la voilà obligée de négocier avec l’envahissant fantôme de son propre aïeul, consterné par son manque de patriotisme.

Ce va-et-vient entre fantaisie musicale chorégraphiée et une bureaucratie kafkaïenne sert de principal moteur au film. Tout aussi amusant que soit ce mélange inattendu, il n’évite pas les répétitions et Shahid peine parfois à se renouveler sur la longueur. La cinéaste/protagoniste semble parfois ne jamais devoir atteindre son sésame administratif et le film menace régulièrement de tourner autant en rond. Narges Kalhor fait néanmoins preuve de personnalité dans sa manière d’oser les grands écarts entre gravité et bouffonnerie, entre fiction et documentaire. Le résultat possède un rythme et une structure imparfaits, mais il est aussi visuellement et narrativement inventif.

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par Gregory Coutaut

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