Critique : Portraits fantômes

Portraits fantômes est un voyage multidimensionnel dans la ville de Recife, capitale brésilienne de Pernambuco, à travers le temps, le cinéma, le son, l’architecture et l’urbanisme. Cette visite impressionniste qui associe l’archive, la fiction, l’extrait de film, les souvenirs personnels est à la fois une cartographie de la ville et un hommage à la salle de cinéma qui tout au long du XXème siècle a été ce lieu de convivialité, réceptacle des rêves, des espoirs et des émotions. Dans cette déambulation ludique, les individus se confondent avec les personnages, les lieux avec les décors, les paroles avec les dialogues.

Portraits fantômes
Brésil, 2023
De Kleber Mendonça Filho

Durée : 1h33

Sortie : 01/11/2023

Note :

HISTOIRE GÉO

Le Brésilien Kleber Mendonça Filho (lire notre entretien) fait sans doute partie des cinéastes qui accordent le plus d’importance aux décors de ses films. Pas dans le sens où il les cadenasserait dans des compositions méticuleuses (il confie ainsi que les décors des Bruits de Recife ne sont étonnamment pas l’œuvre d’un directeur artistique mais qu’ils existent déjà tels quels dans son quartier) mais dans le sens où ces deniers sont un outil narratif à part entière. En parlant de sa propre mère, le cinéaste explique que son appartement était « comme une extension de sa force » et la formule pourrait s’appliquer comme un gant à la fière héroïne d’Aquarius ou aux protagonistes sauvages de Bacurau, tous façonnés par des lieux de vie qui leur ressemblent.

Portraits fantômes est-il un autoportrait ? S’agit-il d’un documentaire sur l’œuvre du cinéaste ou bien sur sa ville, Recife ? Les deux. D’abord grâce à une structure narrative un tantinet abrupte qui part d’une échelle intime (le propre appartement du réalisateur) pour progressivement aller fouiller dans des lieux appartenant à tous : les rues et les cinémas de la ville qu’il a fréquentés toute sa vie durant. Mais aussi bien sûr parce que le portrait et l’autoportrait sont parfois indissociables dans son œuvre. Mendonça Filho raconte les origines personnelles de nombreux détails de ses films (une invasion de termites, des aboiements venus d’on ne sait où), mais la preuve la plus éloquente se passe de mots. Il s’agit du montage en parallèle d’images de son appartement familial et des scènes de films qu’il y a tournés au fil des ans, films amateurs tournés entre amis mais aussi son premier long métrage, Les Bruits de Recife.

Au fil de cette exploration à la fois intérieure et extérieure, le réalisateur croise beaucoup de chats mais surtout plusieurs fantômes. Certains sont métaphoriques et collectifs (ceux de la dictature, d’anciennes stars américaines, d’un quartier entièrement reconstruit, de cinémas fermés et remplacés par des fast-foods), d’autres sont plus concrets, comme cette inexplicable silhouette prise en photo dans une pièce vide. Portrait amoureux de la ville de Recife, Portraits fantômes mélange histoire et géographie dans une touchante archéologie.

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par Gregory Coutaut

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