Festival de La Roche-sur-Yon | Critique : Phantosmia

Hilarion Zabala perd son odorat. Un psychiatre soupçonne qu’il s’agit d’un cas persistant de phantosmie, une forme d’hallucination olfactive, peut-être causée par un traumatisme. L’un des processus recommandés pour guérir le mal est que Hilarion replonge dans ses souvenirs les plus sombres, lors de son service militaire…

Phantosmia
Philippines, 2024
De Lav Diaz

Durée : 4h06

Sortie : –

Note :

UN PARFUM DOUX COMME CE PARFUM

Les personnages de Lav Diaz possèdent peu, et perdent beaucoup. Ils perdent leur chemin (Genus Pan), la mémoire (Quand les vagues se retirent) la foi (Norte, la fin de l’histoire) ou plus souvent encore, la raison (La femme qui est partie). Ce que perd Hilarion, le protagoniste de Phantosmia, est beaucoup plus concret, puisqu’il se retrouve du jour au lendemain sans odorat. Plus exactement, il se retrouve envahi par une odeur fantome, comme l’indique le nom de cette condition physique qui existe bel et bien. D’un seul coup, tout se met en effet à puer autour de lui.

Dans une brève scène de Bad Luck Banging, Radu Jude utilisait la mauvaise odeur corporelle d’une mamie comme le symbole d’idées politiques rances conservées depuis le temps de Ceausescu. Lav Diaz fait sienne cette puissante métaphore politique. Le coin tropical où résident Hilarion a beau être paisible à souhait, il y règne donc une puanteur fantôme venue d’ailleurs, venue du passé comme le vestige inconscient d’une époque où les habitants de cette région isolée avaient été délibérément et impunément brulés par des miliciens. Aidée par une psy toute souriante, Hilario comprend vite que son inconscient cherche ainsi à s’exprimer, et qu’il va devoir affronter ses souvenirs enfouis. Ce n’est pas sorcier, du moins en apparence.

Passée une introduction où les rouages narratifs tournent avec une vitesse et une aisance étonnante, Hilario débute son véritable exercice thérapeutique : il intègre une ancienne colonie pénitentiaire plantée sur une île luxuriante, similaire à celle où il a fait son service militaire, et il attend. C’est à partir de ce point-là que l’on retrouve la langueur si particulière des films de Lav Diaz. Dans cette prison en plein air d’où l’on ne peut vraiment fuir (comme si le pays entier était une geôle) débarquent des personnages aux rôles de plus en plus étranges (des gardes qui n’ont rien à garder, des femmes mercenaires à la recherche d’un animal mythologique). Le passé et le présent commencent à se superposer.

On pourrait craindre que les films de Lav Diaz soient d’étouffant labyrinthes pour le spectateurs comme ils le sont pour ses personnages traumatisés, mais ces derniers trouvent leur issue et leur salut dans une communion avec l’invisible, le mystique ou le mythologique. Lav Diaz n’a pas son pareil pour nous plonger dans des images denses qui appellent et retiennent l’œil. Ses nuits sont profondes et ses jours d’une blancheur presque aveuglantes. Le va-et-vient entre ces deux pertes de repères temporels et spatiaux pourrait assommer mais elle vient au contraire créer une généreuse hypnose, qui fonctionne avant tout sur grand écran. 28e long métrage du cinéaste philippin,  Phantosmia n’apporte certes rien de neuf à son œuvre (on attend pour ça son prochain projet en couleurs), mais il vient à nouveau prouver qu’il est l’un cinéastes les plus radicaux et passionnants qui soient.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article