Critique : Only the River Flows

En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d’élucider l’affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s’enfonce dans le doute…

Only the River Flows
Chine, 2023
De Wei Shujun

Durée : 1h41

Sortie : 10/07/2024

Note :

FLEUVE NOIR

Lors de la première scène d’Only the River Flows, film sélectionné à Un Certain Regard, des enfants jouent au gendarme et au voleur dans une maison abandonnée. Ils courent et se faufilent de pièce en pièce, le petit gendarme pousse alors une porte à l’étage : celle-ci donne sur le vide. C’est, on le verra plus tard, un indice sur l’enquête retorse qui attend Ma Zhe, chef de la police criminelle d’une petite ville en Chine. Inpiré d’une nouvelle méconnue du grand auteur chinois Yu Hua (déjà adapté au cinéma avec Vivre ! De Zhang Yimou), Only the River Flows raconte un fait divers dont la résolution nécessite d’entrer dans un labyrinthe et d’abandonner ses certitudes.

C’est ce que comprend Ma Zhe peu à peu, alors que sa direction est pressée de boucler l’affaire. « Il ne se passe jamais rien à Yong’An », répétait-on dans Ripples of Life, précédent long métrage du Chinois Wei Shujun (lire notre entretien). Il ne semble pas se passer grand chose non plus à Banpo et même lorsque des meurtres finissent par y être commis, leur explication semble trop simple pour le héros. Aux couleurs vives de Ripples of Life succède ici une sobriété poisseuse, quelque chose d’orageux qui pèse sur la ville. Nous ne sommes absolument pas dans les flamboyants films noirs éclairés aux néons d’un Diao Yinan : la pluie et la grisaille agissent ici comme un brouillard, et l’utilisation du 16mm apporte beaucoup à l’atmosphère dense d’Only the River Flows – choix que Wei Shujun justifie par le sentiment d’« incertitude » créé par la pellicule et son pouvoir de « rendre le temps visible ».

Dans Only the River Flows, le nouveau commissariat s’installe au cœur des locaux d’un vieux cinéma en ruines. C’est un écrin tout indiqué pour Ma Zhe qui examine les différents scénarios du fait divers. Le scénario du long métrage sait passer, presque imperceptiblement, du réel au rêve, et le cinéma peut constituer une bonne passerelle entre les deux. Le rêve dans Only the River Flows (qui donne lieu à une scène formidable) ne révèle rien, ce n’est pas une épiphanie, c’est au contraire un songe surréel, une eau qui déborde, un peu comme un puzzle qui aurait trop de pièces plutôt qu’une pièce manquante.

Le film manque néanmoins de fraicheur sur certains éléments, plus particulièrement cette figure du flic taciturne dont l’obsession lui fait perdre la raison et qui est un motif désormais exsangue du polar. Mais Wei Shujun fait preuve d’efficacité dans sa construction, le trouble qu’il installe entre délire paranoïaque et notes de fantastique, sa manière de dépeindre les lieux et décors, et ses quelques touches de mauvais esprit quand le pouvoir chante les valeurs de l’honneur collectif là où, précisément, son protagoniste est seul face à ce qui n’a pas de sens.

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par Nicolas Bardot

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