TIFF 2021 | Critique : Nouvel ordre

Un mariage mondain est interrompu par l’arrivée d’invités importuns.

Nouvel ordre
Mexique, 2020
De Michel Franco

Durée : 1h28

Sortie : prochainement

Note :

NO(S) FUTUR(S)

Tout commence par une noce dans une grande demeure bourgeoise. Riches et insouciants, les invités papillonnent, protégés de l’agitation du centre ville par leurs murs blindés, leurs gardes du corps et surtout leur propre croyance en leur inviolabilité. Derrière ces civilités pleines de non-dits, le ton est déjà mordant et les cadeaux aux jeunes mariés sont payés par des pots de vin. On pourrait même presque parler de farce si l’ombre du film d’horreur ne planait pas çà et là, dans les signes annonciateurs d’un drame imminent (telle cette eau bizarrement verte qui s’écoule des robinets). Les rouages d’un retournement social géant sont en marche : forcément coupables, les riches vont-ils finir dévorés par leurs propres domestiques ? Ce qui semble se mettre alors en place, c’est l’anticipation féroce d’une punition méritée, d’un jeu de massacre.

En une douzaine d’année et de nombreuses sélections à Cannes, le cinéaste mexicain Michel Franco nous a habitués à sa manière particulièrement brute, c’est à dire à la fois agressive et sans fioriture, de nous faire regarder la violence en face. A cette formule bien identifiée, Nouvel ordre apporte effectivement quelque chose de nouveau et inattendu chez le cinéaste : les codes du film catastrophe. C’est-à-dire le genre qui autorise à anticiper avec appétit une tragédie à grande échelle, le genre qui promet d’en faire un spectacle à la fois éprouvant, jubilatoire et sans conséquences. Sauf que Nouvel ordre est tout sauf sans conséquences. Quand le film s’achève (après beaucoup de chocs), c’est comme s’il avait entièrement changé de peau. Passée cette première partie, l’horizon du film s’élargit, passant des quatre murs d’une villa à un pays entier envahi par la peur. D’abord éprouvant comme un film catastrophe (donc pour de faux) le massacre attendu devient éprouvant pour de vrai. Et pas qu’un peu.

Avec un inconfortable manque de transition, c’est pour ainsi dire un deuxième film qui se met alors en place : le portrait ultra-réaliste (et sans plus aucune trace de jubilation) d’une dictature qui s’impose à coup de terreur arbitraire et de torture. D’abord cruel envers des personnages dont on présupposait qu’il méritaient bien un retour de bâton, le film devient cruel envers tous ses personnages puis envers les spectateurs eux-même, enchainant des scènes chocs parfois difficiles à supporter. C’est l’une des pirouettes du film que d’arriver à rendre contagieuse la panique des personnages. Cette pirouette est-elle élégante et nuancée? Non, et le fait qu’elle ne cherche visiblement pas à l’être ne l’excuse qu’à moitié. Franco nous propose le pacte d’un film de genre, mais le brise, pour nous choquer plus profondément. Il n’y a pas de faute morale à berner ainsi le spectateur, ni même à vouloir le secouer, mais à force de nous prendre nous aussi des violents coups de massue sur la tête, on n’a plus toujours l’esprit assez clair pour être convaincu que Franco sache toujours très bien ce qu’il fait au moment de doser avec justesse ses électrochocs.

Michel Franco offre en tout cas quelque chose de rare et de très intéressant : une dystopie politique vide de tout élément anticipation ou de science-fiction. Débarrassée de ces costumes et gimmicks futuristes, cette parabole politique dévoile des angles plus aigus qu’ailleurs, bien trop tranchants pour qu’on puisse ne serait-ce que la contempler sans souffrir. Quand le film se termine sur l’image d’un drapeau géant cranant fièrement au dessus d’un défilé militaire, tout désir de rire est enterré loin derrière nous. C’est notre propre présent, avec la montée des extrêmes droites aux quatre coins du monde, qui nous regarde alors droit dans les yeux, et Franco nous force à ne pas baisser le regard. L’ambitieuse échelle dont fait alors preuve le film, son poids politique indéniable, explique son Grand Prix à la dernière Mostra de Venise. Nouvel ordre fait le portrait du précipice infernal au bord duquel se trouvent nos sociétés. Ce n’est sans doute pas le portrait le plus subtil qui soit, mais c’est assurément l’un des plus cinglants.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article