Festival de Toronto | Critique : Miséricorde

Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s’installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue…

Miséricorde
France, 2024
De Alain Guiraudie

Durée : 1h43

Sortie : 16/10/2024

Note :

BÉNÉDICTION

La caméra lors du premier plan de Miséricorde est à bord d’une voiture et nous sommes là, sur le siège passager, à découvrir la route sur laquelle Alain Guiraudie nous emmène. Quelle est la mystérieuse destination ? Le cadre pourtant est familier dans le nouveau film du réalisateur de L’Inconnu du lac. Ce village ardéchois semble mignon et paisible, l’atmosphère paraît bucolique et inoffensive – on boit en toute simplicité un pastis sur la nappe en plastique. Pourtant, peu à peu, Guiraudie nous fait progresser dans l’inconscient si ce n’est tordu, au moins inavouable de ses protagonistes : désirs sexuels réprimés, envies de meurtre, relation quasi-incestueuse.

Un jeune homme est de retour au village à l’occasion de l’enterrement de son ancien patron. Ce retour fait resurgir non-dits et tensions. Faites entrer l’accusé ? Dans Miséricorde, Alain Guiraudie filme du vrai fait divers et un suspens à résoudre – mais il le fait avec sa patte si particulière. Il y a une menace certes, mais aussi une douceur et un humour qui rappellent la très singulière recette de L’Inconnu du lac. Même si l’humour est un peu plus noir que d’habitude, Guiraudie mêle fait divers crapoteux et vraie touches de comédie dans une harmonie particulièrement fluide et maîtrisée. Cette malice donne un double-sens à toute situation – chercher des cèpes dans les bois, est-ce la même chose qu’y chercher un plan cul ?

Cette richesse de tons se retrouve également formellement, avec le remarquable travail atmosphérique à la fois sur une lumière d’automne chaleureuse et sur la nuit la plus froide. Produit notamment par un autre expert en malice (l’Espagnol Albert Serra), Miséricorde s’appuie sur un scénario qui se déploie progressivement et avec succès sur la longueur. Quelque chose se lézarde dans le silence automnal du village. Une brutale scène de baston, digne d’un film d’action, vient interrompre le ronron local. Miséricorde se sort avec maestria de ces ruptures, tout en livrant un récit à l’irrésistible efficacité.

Les rues du village sont aussi exiguës que le labyrinthe de consciences des protagonistes (interprétés par une distribution parfaite). Miséricorde est un film sur les petits arrangements avec la conscience ; plus qu’un polar à résolution c’est avant tout un film de questions et de dilemmes moraux. Parfois au bord du pittoresque, le long métrage est pourtant toujours imprévisible et même joyeusement choquant. Car il règne chez Guiraudie, dans ses autres films comme dans celui-ci, un délicieux mauvais esprit, un sens bien à lui de l’utopie, et un désir galvanisant d’écrire ses propres règles – face à la loi, face à Dieu, face à ses propres désirs. Miséricorde se hisse au niveau de ses tout meilleurs longs métrages.

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par Nicolas Bardot

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