Films de Femmes de Créteil | Critique : Kalak

Après avoir été abusé sexuellement par son père, Jan a refait sa vie au Groenland avec sa petite famille. Il aspire à devenir un Kalak, un « sale Groenlandais ».

Kalak
Danemark, 2023
De Isabella Eklöf

Durée : 2h05

Sortie : –

Note :

SALE TYPE

Quand avons-nous vu pour la dernière fois une scène aussi choquante, avec sa violence l’air de rien, que la première séquence de Kalak ? Cette scène d’agression choque, certes, mais sa place dans le film évite la manipulation cynique. La Suédoise Isabella Eklöf nous met d’emblée devant les faits, et l’histoire de son héros n’est pas traitée comme un suspens avec un twist qui viendrait a posteriori éclairer sa personnalité. Le cinéma d’Eklöf, comme le suggérait son premier long métrage Holiday, ne ressemble pas à cela.

Dans Holiday, resté inédit en France mais qui figure dans notre dossier des meilleures révélations de ces 5 dernières années, la cinéaste racontait l’histoire d’une héroïne facile à juger, mais qui se révélait beaucoup plus imprévisible et complexe que ce que l’on pouvait imaginer. Le traitement du héros de Kalak est assez voisin même si la dynamique est différente. Dans Holiday, Sascha est ignorée, traitée avec condescendance, mais passe d’objet à sujet. Dans Kalak, Jan est rapidement au centre de toutes les attentions (ou se comporte comme s’il devait l’être) ; sa femme lui conseille d’ailleurs de monter son propre harem. Mais le monde doit-il vraiment tourner autour de Jan ?

Brillante scénariste, Eklöf interroge notre point de vue avec intelligence. On se retrouve très vite en situation d’empathie vis-à-vis de Jan, mais c’est une situation moins confortable que prévu : Jan est une mauvaise victime – il est médiocre, manipulateur, il fétichise les femmes groenlandaises qui l’entourent et n’a d’horizon que le sien. Néanmoins, l’écriture chez Eklöf ne fonctionne pas comme un interrupteur et notre point de vue est sans cesse sollicité dans ce portrait complexe et assez unique d’un jeune homme abimé – ce qu’il a subi, ce qu’il transporte en lui, et pourquoi son trauma ne peut être une excuse à tous les rapports de domination qu’il exerce.

Si le film aurait peut-être pu être plus court ou plus frappant visuellement, Isabella Eklöf fait preuve d’un sens du contraste assez saisissant : cette manière qu’elle a de briser la quiétude ouatée par la brutalité la plus glaçante est d’une puissance impressionnante et prometteuse. Ce goût et ce talent pour l’irruption rendent ses récits imprévisibles, hantés par une gratifiante ambiguïté.

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par Nicolas Bardot

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