Festival CPH:DOX | Critique : Housewife of the Year

Ce documentaire revient sur une émission diffusée à la télévision irlandaise de 1968 à 1995, qui consiste en un concours pour désigner la meilleure femme au foyer. 

Housewife of the Year
Irlande, 2024
De Ciaran Cassidy

Durée : 1h17

Sortie : –

Note :

JE PASSE À LA TÉLÉ

« Pourquoi avons-nous fait ça ? Comment avons-nous tout accepté ? » dit l’une des intervenantes de Housewife of the Year. « Ça », c’était le quotidien de bien des femmes : être de parfaites femmes au foyer, dociles, travailleuses et discrètes. Dans l’Irlande racontée par Ciaran Cassidy, des années 60 aux années 90, il n’y avait semble-t-il guère d’autres perspectives. Le film raconte en creux comment on enseignait aux fillettes à être de bonnes employées de maison dès l’école, plus tard il était inacceptable qu’elles s’amusent tandis que le contrôle des corps et l’absence de contraception faisaient d’elles des mamans jeunes, souvent de multiples enfants. En repensant à la bizarrerie de cette époque, une femme se demande : « est-ce qu’on rêvait ou est-ce qu’on dormait ? Nous les femmes on était vraiment des poulets décapités qui courions partout ».

Pourtant, au cœur de Housewife of the Year, il y a une émission télévisée qui n’est que lumières et sourires. On y célèbre, à l’issue d’un concours, la femme au foyer de l’année. Quelle épouse et maman fait les meilleures recettes ? Qui sait être drôle, a un sens civique impeccable, sait jouer de la harpe et réciter des poèmes ? Cette émission diffusée dans chaque salon irlandais semble valoriser les mères, mais derrière les apparences de la reconnaissance du travail féminin, il y a un système qui pérennise la domination patriarcale (la preuve, quand le concours devient mixte en 1996, celui-ci bide et s’arrête). Et derrière la bonne humeur télévisée, il y a une injonction publique faite aux femmes : être la meilleure femme au foyer est le seul horizon envisageable dans vos vies.

Si les talents des mères sont applaudis à la télévision, celles-ci sont avant tout définies lorsqu’elles arrivent sur le plateau par l’identité de leur mari et le nombre de leurs enfants. Être là était certes un accomplissement : c’était une sorte de flamboyant concours de miss grâce auquel elles recevaient un important courrier de félicitations. Une femme, retrouvée aujourd’hui par le cinéaste, explique qu’elle a toujours aimé être une femme au foyer. Mais pour beaucoup d’autres, la vie consistait à apprendre à se taire, et à sourire quelques minutes à la télé en compensation. Pour certaines, participer leur permettait enfin de sortir de leur cuisine. Mais on mesure dans le film l’influence aliénante de la religion, du foyer jusqu’aux plateaux de télévision festifs.

Même les images de la fin du concours, au milieu des années 90, ont l’air de sortir d’un très lointain passé. Ciaran Cassidy filme régulièrement des écrans de télévision diffusant le concours, et dont les perspectives sont déformées par l’angle de la caméra. Les sourires télévisés deviennent alors de curieux rictus. Retrouvée aujourd’hui, une participante raconte sa joie et son émancipation lorsque son mari s’est enfui. Alors que la Constitution irlandaise s’assure que les femmes s’occupent de la maison, comment les possibilités ont pu se dessiner peu à peu ? La lente libération des femmes en Irlande raconte ici à quel point ce pays très religieux a pu être décalé par rapport à ses voisins sur les questions de droits sociaux et de droits des femmes – droit au travail, au divorce, à l’avortement. La forme sage du documentaire met en valeur à la fois la fantaisie kitsch du concours et le caractère édifiant de son propos.

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par Nicolas Bardot

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