Critique : J’ai vu trois lumières noires

Un vieil homme sage entreprend son dernier voyage dans la jungle colombienne pour y trouver un endroit où mourir. Mais les groupes armés illégaux qui contrôlent la région mettent en péril sa transition vers le royaume des morts.

J’ai vu trois lumières noires
Colombie, 2024
De Santiago Lozano Álvarez

Durée : 1h27

Sortie : 19/03/2025

Note :

LE CHEMIN DE MA MAISON

Dans son village situé en pleine jungle colombienne, José de los Santos est le seul à savoir pratiquer les rituels funéraires tels que le pratiquaient ses ancêtres. Cette position précieuse lui vaut un certain respect, notamment de la part des rebelles militaires cachés dans la région et qui ont pourtant la gâchette facile, mais elle impose aussi une solitude. Passeur entre le monde réel et celui des morts, José est marginalisé jusqu’à l’invisibilisation par une communauté où les vivants ont déjà bien assez de problèmes à régler comme ça. Les gens qui l’entourent savent-ils seulement que José ne possède pas que les connaissances dues à son travail : il a également un don, celui de voir les esprits, ou en tout cas celui de son propre fils. Celui-ci vient le prévenir : c’est bientôt au tour de José de passer de l’autre côté.

Le réalisateur colombien Santiago Lozano Álvarez prend le parti de raconter cette histoire fantastique avec justement beaucoup de réalisme. Cela pourrait être frustrant, et le grand sérieux qui pèse ici nécessite d’ailleurs un temps d’ajustement, mais J’ai vu trois lumières noires n’est pas stérile pour autant. Les couleurs délibérément désaturées laissent planer sur les paysages un émouvant voile de nostalgie brumeuse, comme si le monde s’apprêtait à s’effacer effectivement sous nos yeux, et la performance fort stoïque de l’acteur Jesús María Mina ne manque pas de charisme chaleureux.

José part marcher dans la jungle, comme s’il était à la recherche d’un coin pour mourir ou de la porte d’entrée de l’autre monde. Sa singularité, le film la trouve justement dans sa manière de filmer la nature, lorsque la caméra fait des pas de côté hors du récit pour aller s’immerger dans les feuillages ombragés, pour suivre un fleuve placide aux eaux pourtant sombres. Comme dans Cidade; campo de Juliana Rojas (également présenté en première française à Cinélatino), le rapport au territoire fait ici écho au rapport à un passé commun. Les membres de cette communauté noire qui vit presque cachée en Colombie ont tous pour ancêtres des esclaves amenés d’Afrique. L’errance géographique de José peut dès lors se lire comme une passionnante quête pour une terre enfin accueillante, ou comme le songe d’un retour aux terres d’origine. C’est en filant cette métaphore entre les lignes que J’ai vu trois lumières noires trouve son meilleur relief.

par Gregory Coutaut

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