Festival de Locarno | Critique : Home

Lorsqu’on ne se sent plus chez soi, l’errance devient une routine. Le temps, l’espace et les émotions implosent, Lisbonne se confondant avec Bangkok. Le passé, le présent ou peut-être l’avenir s’entremêlent dans une histoire qui commence lorsque L rencontre K.

Home
Portugal, 2023
De Leonor Teles

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

ELLE EST D’AILLEURS

Jeune architecte au physique androgyne, L possède une présence discrète et pourtant elle est à l’aise partout. Dans les rues, dans les parcs, sur les toits… de jour comme de nuit elle arpente son chez-soi, sa ville. Mais justement, de quelle ville s’agit-il ? L’espace d’un instant, L nous est montrée dans les rues reconnaissables de Lisbonne, puis immédiatement après dans un bar de Bangkok. Baan, le titre original du film, signifie maison en thaïlandais. Peu importe où se trouve la maison d’L (le sait-elle seulement ?), elle a surtout l’air d’être perpétuellement dans sa tête, comme si elle était amoureuse.

L fait effectivement la connaissance de K, militante anti-raciste asiatique. Sans filmer aucune des scènes attendues d’un film romantique, la réalisatrice Leonor Teles parvient à faire ressentir la naissance du désir entre elles deux, avec un sens du détail subtil. En dépit des titres funks de Chaka Khan et Prince qui ouvrent et closent le film de leur dynamisme irrésistible, il ne s’agit pas là d’un désir qui bouleverse tout. La mise en scène ne change pas et le rythme non plus, la vie d’L se poursuit dans le même rayon de soleil rêveur. Et quand K disparait du film sans crier gare sans qu’on sache très bien s’il y a eu rupture ou changement d’époque, eh bien L poursuit ses promenades citadines comme avant. Là encore la vie continue.

Home est le premier long métrage de fiction de Leonor Teles, après Balada de um Batráquio (Ours d’or du court métrâge 2016) et Terra France (passé à l’Acid). Elle parvient à donner vie à ses personnages et aux quartiers qu’elle filme avec une trame narrative à la taille pourtant très modeste, si délicate que le long métrage bénéficierait sans doute d’une durée elle aussi plus modeste, car les longueurs ne sont franchement pas évitées malgré un montage serré. Si Teles parvient heureusement à redresser la barre, c’est grâce à son travail sur l’image qui confère à l’ensemble une poésie nostalgique pleine de charme.

Teles n’est pas que la réalisatrice ici, elle est aussi la chef opératrice. Un poste qu’elle avait déjà tenu avec un beau succès sur plusieurs réussites récentes du cinéma portugais (By Flavio ou le diptyque Mal viver/Viver mal). Prenant tout son temps, Teles filme les rues ensoleillées ou les nuits gorgées de néons colorés en utilisant des ralentis saccadés évoquant Wong Kar-wai et Hou Hsiao-hsien (une séquence vient d’ailleurs rendre un hommage direct à l’ouverture de Millennium Mambo), mais elle évite le simple hommage en privilégiant une image au grain gros et émouvant, qui nous donne l’impression d’avoir le privilège de partager ses souvenirs particulièrement intimes et touchants.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article