Critique : Semaine Sainte

Au début du XXe siècle, dans un petit village roumain, les tensions entre Leiba, un aubergiste juif, et son employé chrétien, Gheorghe, atteignent leur point de non-retour lorsque ce dernier promet de venir régler ses comptes la nuit de Pessa’h.

Semaine sainte
Roumanie, 2024
De Andrei Cohn

Durée : 2h13

Sortie : 10/04/2024

Note :

DANS LA RONDE DES FOUS

L’action de Semaine sainte se déroule dans un village roumain bucolique, où tous les habitants se croisent à l’auberge de Leiba. Certes, les discussions politiques avinées y sont parfois houleuses et les affaires de Leiba marchent un peu moins bien qu’avant, mais cela n’a sûrement rien de rien à voir avec le fait que lui et sa femme soient les seuls juifs du village. Non, non, pensez vous. Après tout, Leiba a même pris sous son aile un jeune gars catholique, un brave garçon (ou bien un psychopathe, la nuance est mince). Pas de problème avec les juifs chez ces villageois car on y est entre gens civilisés, entre personnes évoluées. Mais « si l’évolution existe, alors l’involution doit sûrement exister aussi » comme le clame un client ivrogne à qui veut l’écouter.

L’auberge où se déroule une bonne partie de Semaine sainte a beau être posée dans un cadre charmant, au bord d’un fleuve paisible, ces villageois sont rongés par une haine de l’autre qui les rend fous. Gentiment zinzins comme ces tontons alcooliques dont on fait semblant de ne pas entendre les propos rances, ou bien carrément inquiétants et dangereux. Il règne sur ces échanges de moins en moins courtois entre patron, employés, clients et voisins un vent mauvais qui se traduit autant par des répliques à l’agressivité absurde (« J’emmerde cette soupe ») à des scènes de tension franchement glaçantes. De provocations en mauvaise foi, une simple histoire de rituel religieux se transforme ainsi en un mécanisme infernal et paranoïaque, rempli d’une tension sourde toute roumaine.

Andrei Cohn (lire notre entretien) s’était fait connaître avec son film précédent, Arrest, un huis-clos tendu et exigeant situé dans une cellule de prison. L’horizon est cette fois grand ouvert, et même particulièrement mis en valeur par des compositions stupéfiantes, où la profondeur de champ donne parfois le vertige. Les murs ont disparu mais c’est le monde entier qui est ici une geôle sans issue, et chacun reste prisonnier d’une cohabitation avec des fous, tous persuadés d’être de la race ou de la religion supérieure. Semaine sainte a beau se dérouler à la fin du 19e siècle, le film ne nous parle de rien d’autre que de notre monde d’aujourd’hui. Politiquement, c’est moins un films d’époque qu’un film particulièrement contemporain.

Les personnages de Semaine sainte sont moins au paradis qu’en enfer et Andrei Cohn les fait brûler à petit feu, quitte à prendre parfois son temps. Le cinéaste sait néanmoins, le moment venu, mettre en scène la tension avec maestria. En témoignent les stupéfiantes scènes d’ouverture et de clôture, qui viennent nous cueillir immédiatement après ou avant de brusques accès de violence collective. La brutalité physique y est laissé hors champ, mais demeure pleinement visible sur les visages hébétés des acteurs. Pour les personnages comme pour les spectateurs, la peur ne disparaît jamais vraiment, elle resurgit selon son propre rythme imprévisible, apportant à ce film sérieux une nervosité féroce.

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par Gregory Coutaut

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