LA DÉRIVE DU CONTINENT

Green Border, nouveau long métrage de la Polonaise Agnieszka Holland, s’ouvre par un océan d’arbres qui perdent rapidement leur vert. Le film utilise un noir et blanc qui peut, inconsciemment, nous ramener à un passé lointain – mais les faits racontés se déroulent bel et bien maintenant. Holland, qui dans sa carrière a traité plusieurs fois de l’Holocauste, dépeint la manière atroce dont les réfugiés sont traités à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. C’est une fiction et non un documentaire, néanmoins son scénario a été très documenté, basé sur des témoignages de personnes concernées, d’activistes et de journalistes.

Ce récit choral, découpé en chapitres, aborde trois points de vue : celui des familles venues de Syrie, d’Afghanistan ou d’ailleurs, celui des gardes frontières et celui des activistes. Cette circulation des points de vue permet à la fois d’être en immersion dans le récit et d’apporter distances et perspectives. C’est une manière pour la cinéaste d’éviter le poverty porn dans un film aux scènes parfois éprouvantes, et où le témoignage le plus brutalement honnête ne tourne pas au spectacle sensationnaliste.

Holland trouve la distance juste dans cette situation qu’on pourrait qualifier d’ubuesque si elle n’était pas aussi horrible. Des êtres humains sont rejetés de la Biélorussie à la Pologne, de l’extérieur à l’intérieur de l’Union Européenne, puis inversement et indéfiniment, comme on balancerait un sac de vêtements par-dessus des barbelés. La cinéaste rapporte l’instrumentalisation et la déshumanisation dont sont victimes les réfugiés. C’est là l’horreur d’un système fasciste où les mots n’ont plus aucun sens et où les activistes sont considérés comme des trafiquants, où l’on prive des humains de toute dignité, et où l’inversion est la règle : à la radio, le récit officiel rappelle à quel point les personnes agressées sont… les soldats et agents polonais.

Réalisatrice à l’œuvre éclectique (qui va de récits historiques à des séries télévisées en passant récemment par sa récente adaptation d’Olga Tokarczuk dans Pokot), Agnieszka Holland fait preuve d’un sens aiguisé du récit avec ce drame puissant et courageux, qui lui vaut à elle et son équipe de nombreuses menaces venant de l’extrême-droite. Mais le film existe, circule, est vu, est primé (d’abord à la Mostra de Venise puis prix du public à La Roche-sur-Yon lors de sa première française). Cette urgente histoire de survie examine les consciences et les traces individuelles d’humanité de manière édifiante.

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