Critique : Grâce à Dieu

Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.

Grâce à Dieu
France, 2019
De François Ozon

Durée : 2h17

Sortie : 20/02/2019

Note : 

DU SILENCE ET DES OMBRES

On a souvent noté (et loué) l’éclectisme de François Ozon, qui s’exprime au sein d’un cinéma assez populaire et dans lequel – c’est une gageure – sa personnalité d’auteur se ressent à chaque fois. Grâce à Dieu, drame particulièrement sérieux, choral, inspiré par des faits réels qui ne sont pas encore arrivés à leur ultime dénouement, appartient à nouveau à un « genre » auquel il n’avait pas touché auparavant.

Grand cinéaste des femmes, Ozon s’intéresse ici à différents personnages masculins et à leurs blessures. Ce n’est pas la première fois qu’Ozon traite de la masculinité, mais il observe en général celle-ci à travers des codes différents de virilité, volontiers queer : de manière évidente dans Les Amants criminels, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes et Le Temps qui reste ou beaucoup plus cryptique dans Frantz. S’il y a à nouveau une manière dans Grâce à Dieu de traiter de la virilité fragilisée, celle-ci ne s’exprime pas du tout à travers des figures queer.

Le premier personnage à apparaître à l’écran (Melvil Poupaud, une fois de plus parfait) est d’ailleurs un père de famille bourgeois, catholique, marié à la mère de ses nombreux enfants. C’est une famille en apparence équilibrée qui tranche avec les traditionnels portraits de famille féroces du cinéaste. On reconnaît, à d’autres moments de Grâce à Dieu, cette méfiance vis-à-vis de la famille. Plus généralement : une méfiance vis-à-vis des institutions. L’heure n’est plus au jeu dans cette mise en scène à chaud d’un terrible scandale. Le cinéma d’Ozon a souvent été ludique, il n’en sera rien dans ce nouveau film.

Grâce à Dieu s’ouvre par la voix d’un personnage qui, semble t-il, s’adresse à nous. C’est en fait une lettre adressée à quelqu’un d’autre, et ce qu’on prend d’abord comme une présentation un peu scolaire ouvre une piste explorée ensuite par le long métrage : celle de la parole, de la prise de parole et de sa difficulté. En traitant de ce fait divers de pédophilie couverte par l’Eglise, Ozon traite du fossé béant entre la parole et l’action. C’est une thématique qui s’inscrit logiquement chez ce cinéaste du refoulé. On pense au fantôme de Sous le sable, aux souvenirs chiffonnés de Frantz, aux noeuds psychologiques de L’Amant double. Dans le drame austère comme dans la farce grand-guignol, l’esprit joue des tours aux protagonistes d’Ozon. Comme on le dit dans Grâce à Dieu : « la parole semble avoir besoin de beaucoup de temps pour se libérer« . Et les esprits avec.

Grâce à Dieu appartient à la veine plus classique du cinéma de François Ozon. On pourrait le regretter si son nouveau film ne sonnait pas aussi juste, et s’il ne prenait pas de risque. Car sa structure particulière, avec ce glissement de points de vue et ces changements successifs de personnage principal, n’est pas si classique ou évidente. Ozon y parvient avec une grande fluidité, comme il observe avec complexité ce qui constitue les victime, ce qui les poursuit des décennies plus tard. Alors que les souvenirs ici mis en scène sont d’une étrange netteté.

La Basilique Notre-Dame de Fourvière surplombe la ville de Lyon, comme un symbole de ce qui pèse sur les différents protagonistes. Ozon signe un drame d’une grande force tranquille. Factuel, d’une précision journalistique, le film n’a d’ailleurs pas besoin de renverser les tables du mélodrame. Son titre lui a même été fourni par le Cardinal Barbarin lui-même : « grâce à Dieu, c’est prescrit« , disait-il en 2016 en évoquant les agressions terribles que le film relate.

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par Nicolas Bardot

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