Critique : « Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares »

En 1941, l’armée roumaine a massacré 20 000 Juifs à Odessa. De nos jours, une jeune metteuse en scène veut retranscrire cet épisode douloureux, par une reconstitution militaire, dans le cadre d’un évènement public. La mise en scène sera-t-elle possible ?

« Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares »
Roumanie, 2018
De Radu Jude

Durée : 2h00

Sortie : 20/02/2019

Note : 

ROMAN NATIONAL

L’éclectique Radu Jude n’est décidément jamais là où on l’attend. Après le noir et blanc picaresque d’Aferim et le surréalisme littéraire de Cœurs cicatrisés, le réalisateur roumain prend un nouveau virage stylistique. L’élégance de ses précédentes mises en scène laisse ici place à un faux documentaires aux apparences âpres. Mais s’il change de parure, Jude poursuit avec la même férocité sa dissection de l’identité roumaine. Après la question rom, après l’héritage des intellectuels, il s’attaque ici à l’antisémitisme de son pays, et plus précisément à sa participation pas vraiment assumée à la Shoah. Le titre « Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares » est d’ailleurs une citation du maréchal Mihai Antonescu – responsable de la déportation de 300 000 juifs roumains.

Dans la première scène, une jeune actrice se présente face à la caméra. Elle nous explique qu’elle va jouer le rôle d’une poétesse à qui l’on a confié la mise en scène d’un spectacle historique. Passé ce point de départ méta, le film va suivre en quelques sortes deux pistes. L’une ayant la forme d’une introspection intellectuelle, tandis que nous suivons l’actrice (le personnage?) enchainer les lectures pointues dans sa chambre, et avoir des improbables – et longues – conversations idéologiques au téléphone avec son amant. L’autre piste est celle d’une comédie de tournage. Car plutôt que d’obéir sagement à la commande patriotique qu’on lui soumet, la jeune metteuse en scène va tenter d’utiliser son spectacle pour rétablir la vérité historique. Son ambition va se heurter à l’amateurisme des participants, précipitant l’entreprise dans un chaos bouffon.

Peut-on rire et réfléchir à l’Histoire en même temps, a fortiori sur un sujet aussi grave ? Radu Jude répond avec adresse et une certaine cruauté, réglant au passage son compte au concept de « Martyrologie compétitive », ce que les Américains nomment le whataboutism (ce faux-fuyant qui empêche tout débat, en mode « pourquoi devrait-on parler de nos fautes quand nos voisins ont fait pire que nous ?« ). L’incapacité des citoyens roumains participant au spectacle à admettre l’authenticité ou la gravité de ces événements est à la fois tragique et cocasse, tout comme leur maladroit mélange de bonne et de mauvaise volonté. « Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares » pourrait tout aussi bien être une citation des citoyens d’aujourd’hui, en Roumanie comme ailleurs – partagés entre méconnaissance et indifférence. C’est la très amère conclusion de cette drôle de comédie cérébrale.

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par Gregory Coutaut

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