Festival de Locarno | Critique : Eight Postcards from Utopia

Eight Postcards from Utopia est un documentaire de type found footage, monté exclusivement à partir de publicités roumaines de l’époque postsocialiste. 

Eight Postcards from Utopia
Roumanie, 2024
De Radu Jude & Christian Ferencz-Flatz

Durée : 1h11

Sortie : –

Note :

CULTURE PUB

D’une collection de pierres tombales au bord de la route à un récapitulatif de décisions politiques absurdes, le Roumain Radu Jude (lire notre entretien) a déjà montré qu’il avait un goût pour les compilations – qu’il s’agisse de ses fictions ou de ses documentaires. Dans Eight Postcards from Utopia (co-réalisé avec Christian Ferencz-Flatz), on assiste à un herbier de l’enfer assemblant entre elles une myriade de publicités issues de la Roumanie postsocialiste. Ces spots peuvent-ils, comme le suggère le premier chapitre du long métrage, raconter une Histoire des Roumains ? Celle-ci est narrée à travers des pubs Pepsi qui n’ont pas vraiment une tête de roman national. Les récits mascus, avec héros de péplum ou chevaliers, s’enchainent ; cette grande Histoire racontée en pastilles minables et ridicules s’inscrit dans la suite logique du cinéma de caricaturiste de Jude.

Le film peut, régulièrement, n’avoir aucun sens. Et c’est aussi une joie étrangement poétique : celle d’un spectacle parfaitement absurde de A à Z. Eight Postcards from Utopia est un kaléidoscope conscient de laideur et de bêtise, avec des musiques et images horribles, d’une ringardise assez incommensurable et et dont les spots se caractérisent régulièrement par une forme d’analphabétisme visuel. Le film poursuit le geste de cette exploration amusée de la laideur que Jude a entamée dans Bad Luck Banging et qu’il a poursuivie dans N’attendez pas trop de la fin du monde. C’est une farce, mais celle-ci porte en elle une surprenante dimension existentielle – on est persuadé que cette laideur-là, infligée à une large population, fait du mal à l’âme.

Dans tout ce chaos, un propos se dessine de plus en plus nettement. On assiste à une cacophonie consumériste qui, par la grimace et les beuglements, lave le cerveau du public. On y vend un monde meilleur mais toujours horrible, on promet de nous faire jouir en nous shampouinant, en mangeant du pâté – et oui, en consommant ces cacahuètes, vous parviendrez à baiser. C’est un vertige insondable de l’idiocratie que l’on contemple, mais comme dans les précédents films de Jude, le regard amusé et satirique ôte tout poids de supériorité sentencieuse au long métrage.

Ce film-montage est une sorte de gros monstre clownesque difforme et bouffi, composé d’images qui ne sont pas faites pour le grand écran. On peut établir un parallèle avec un autre film sélectionné au Festival de Locarno, Cartas telepáticas : ce sont deux œuvres uniquement composées d’images qui devraient être l’inverse d’une démarche artistique (des plans réalisés par une intelligence artificielle dans le cas de Cartas), et pourtant, cela reste du cinéma. A voir ces vieilles pubs, on ressent cet étrange vertige d’assister à un programme qui défile dans le vide, au found footage d’une civilisation disparue, comme s’il s’agissait d’une machine qui s’emballe sans jamais s’arrêter. C’est ce que peut suggérer l’épilogue intitulé Apocalypse vert, où il ne reste pratiquement que des animaux dans la nature une fois que les humains ont tout dévoré. Mais rassurez-vous, comme nous l’annonce avec une joie intense l’une des pubs : les chips de crevettes sont de retour en Roumanie.

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par Nicolas Bardot

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