Berlinale | Critique : Chime

Matsuoka enseigne dans une école de cuisine. Un jour, l’un de ses élèves déclare entendre un bruit étrange, comme un carillon que lui seul semble percevoir…

Chime
Japon, 2024
De Kiyoshi Kurosawa

Durée : 0h45

Sortie : –

Note :

LA CLOCHE DE DÉTRESSE

Chime, dévoilé hors compétition à la Berlinale, est l’un des trois projets signés Kiyoshi Kurosawa en 2024. Outre les longs métrages La Vengeance du serpent et Cloud que l’on devrait découvrir dans quelques mois, Chime est en apparence un « petit » projet, un moyen métrage dédié à une plateforme japonaise. Il s’agit de son retour à l’horreur, 8 ans après le film de fantômes Le Secret de la chambre noire. Kurosawa a, depuis, signé un polar (Creepy), deux films de science-fiction (Avant que nous disparaissions et Invasion) et deux drames (Au bout du monde et Les Amants sacrifiés – qui lui a valu la plus grande distinction de sa carrière avec un prix de la mise en scène à la Mostra). Si l’œuvre du Japonais a toujours été éclectique (en genres mais aussi en formats), Chime nous rappelle que le cinéaste reste un maître inégalé de l’horreur contemporaine.

Le premier plan de Chime montre une ville. En un mouvement, la caméra chemine. Se dirige t-elle vers un appartement inquiétant, une usine abandonnée ou tout autre décor familier du cinéma de Kurosawa ? Pas du tout : nous voici dans une vaste cuisine lumineuse, dans laquelle un cuisinier dispense des cours de cuisine française à quelques élèves. A première vue, pas un point de rendez-vous pour fantômes, juste un lieu de travail. Mais on sait que chez le réalisateur, le surnaturel peut apparaître dans des lieux inattendus, et se trouve justement rehaussé par la banalité du décor – comme avec l’horreur en bureaux de Door III.

Le carillon que seul l’un des élèves semble entendre est comme un cri inhumain. Qu’entend-il réellement, et qu’est-ce qui flotte dans l’air de cette cuisine ? Plus généralement, qu’est-ce qui flotte dans l’air des films de Kiyoshi Kurosawa et semble se transmettre, du fil invisible de Cure au virus fantôme de Kaïro ? La contamination est l’un des motifs du cinéma de Kurosawa et elle est ici le moteur d’une horreur surprenante et insaisissable. D’abord par le ton qui laisse une place à l’humour noir. Mais aussi par la propreté nette des décors : un plan de travail, un restaurant confortable, un pavillon ordonné. On n’identifie pas immédiatement dans quelle brèche l’horreur va se glisser et c’est l’un des délices de Chime.

« J’ignore ce qui me possède », entend-on dans le moyen métrage. Qu’est-ce qui possède le personnage principal, un homme qui semble à la fois sans émotion et dont on ressent pourtant le grondement intérieur ? Dans Chime, la mise en scène minutieuse de l’horreur (sa construction, sa progression et son surgissement) pourrait être enseignée en école de cinéma. Les mouvements de caméra et le découpage sont d’une pureté limpide et glaçante, à l’image de la lumière stylisée qui est projetée à chaque passage de train, un beau scintillement qui finit par ressembler à un mauvais sort. La courte durée de Chime laisse une ouverture à la fois idéale et un soupçon frustrante aux questions et interprétations. Mais quel plaisir que cette science de la mise en scène, à la fois imparable et ludique, où les sentiments d’angoisse et de vertige peuvent être transmis par un simplement changement de texture d’image.

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par Nicolas Bardot

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