Critique : Fermer les yeux

Julio Arenas, un acteur célèbre, disparaît pendant le tournage d’un film. Son corps n’est jamais retrouvé, et la police conclut à un accident. Vingt-deux ans plus tard, une émission de télévision consacre une soirée à cette affaire mystérieuse, et sollicite le témoignage du meilleur ami de Julio et réalisateur du film, Miguel Garay. En se rendant à Madrid, Miguel va replonger dans son passé…

Fermer les yeux
Espagne, 2023
De Victor Erice

Durée : 2h49

Sortie : 16/08/2023

Note :

IL EST REVENU

Où était passé le cinéaste espagnol Victor Erice ? Cinquante ans ont beau être passés depuis son chef d’œuvre originel L’Esprit de la ruche, Fermer les yeux n’est que son quatrième long métrage. Attendu et espéré pendant plusieurs décennies, ce nouveau film vient mettre un terme à un quasi-silence de près de trente ans (l’année où Le Songe de la lumière remporta le Prix du jury à Cannes), une absence à peine interrompue par la participation du réalisateur à 3:11 A Sense of Home, l’anthologie chapeautée par Naomi Kawase en 2011.

Où sommes-nous passés ? Lorsque débute Fermer les yeux, nous ignorons tout de là où nous nous trouvons. Dans un décor ancien et difficile à dater, des personnages s’expriment en différentes langues. Placée juste un peu trop loin des comédiens, la caméra nous empêche de venir piocher des indices trop précis sur le lieu et l’époque où l’on vient d’atterrir. Cette malice conceptuelle, associée au sérieux muséal de ces décors historiques, évoque un instant la fantaisie ralentie de Manoel de Oliveira. Cette piste est à la fois confirmée et laissée de côté par la révélation, une vingtaine de minutes plus tard, que ce que l’on venait de voir n’était en réalité qu’un film dans le film. Passée cette déroutante introduction, l’histoire de Fermer les yeux peut débuter.

Où est passé Julio ? Acteur principal du film que nous venons de voir (c’était donc ça), celui-ci a mystérieusement disparu en plein tournage, laissant l’œuvre inachevée pendant des décennies. Des années plus tard, Miguel le réalisateur du film croit retrouver par hasard la trace de Julio, qui ne serait donc pas mort comme tout le monde le croyait. Miguel se lance alors à la recherche de Julio, et cette mise en abyme autobiographique d’Erice en tant qu’artiste-fantôme est trop belle pour ne pas crever l’écran. Là encore, le cinéaste nous offre un clin d’œil méta où le mystère du réel se superpose à celui de la fiction.

A partir de ce second point de départ narratif, la mise en scène d’Erice se fait plus conventionnelle. Elle le devient même trop, et ses images au réalisme grisâtre et terre-à-terre manquent parfois étonnamment de souffle. Le titre du film est-il une mise en garde nous invitant à ne pas y attacher trop d’importance ? C’est en effet davantage par sa gestion fluide du rythme que le film réussit son invitation au rêve. L’enquête se déroule avec langueur mais sans frustration, comme si c’était par les silences, la durée et les ellipses qu’Erice parvenait à ouvrir les portes d’un mystérieux hors-champ. Le chemin est lent mais les admirateurs d’Erice ont appris à être patients, et l’énigmatique dernier acte vient clore le film en beauté avec un hommage cinéphile à Dreyer.

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par Gregory Coutaut

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