Berlinale | Critique : BlackBerry

L’ascension et la chute de l’entreprise qui a produit le BlackBerry.

BlackBerry
Canada, 2023
De Matt Johnson

Durée : 2h01

Sortie : –

Note :

LES TROIS VISAGES D’ADAM

Comme son nom l’indique sans détour, BlackBerry raconte bel et bien l’histoire (certes fictionnalisée) de la création du téléphone « que tout le monde avait avant que n’arrive l’iPhone » comme le dit l’un des personnages. Le choix de ce sujet possède déjà quelque chose d’improbable, comme si le cinéaste canadien Matt Johnson, à qui on doit le deja curieux Opération Avalanche, l’avait sorti du vieux tiroir où dorment tous nos anciens téléphones oubliés. Les faits relatés ici ne sont pas si anciens puisqu’ils vont du début des années 90 à la fin des années 2000, et pourtant c’est à une sorte d’âge de pierre technologique que l’on assiste ici, avec ses premiers prototypes de smartphones fabriqués à la va-vite à base de pièces de jouets pour enfants.

La reconstitution d’époque(s) est pleine de détails drôles (tel un porte monnaie à scratch à l’effigie des Tortues ninjas) mais BlackBerry n’est pas qu’une blague rétro. Il y a un vertige funambule dans cette comédie dramatique qui, bien qu’elle suive une trame prévisible où la chute succède à la gloire, ne ressemble vraiment ni à un film d’aujourd’hui ni à un film d’hier. Avec sa caméra portée en mode reportage et ses zooms sur différents personnages, BlackBerry débute presque comme un épisode de The Office. Alors qu’on pourrait s’inquiéter qu’une mise en scène si agitée puisse tenir sur la longueur, Matt Johnson parvient à maintenir son cap avec finesse : le ton change et pourtant la mise en scène reste la même. D’abord absurde et mordante, cette caméra sans cesse à la recherche d’un capitaine qui sait ce qu’il fait à bord de ce navire finit par créer une tension sourde puis une mélancolie amère.

Il est tout à fait possible d’apprécier BlackBerry sans s’intéresser à l’histoire des technologies de communication car la naissance du smartphone n’est en réalité pas du tout le sujet du film. Il est beaucoup question d’assemblage dans le scénario, les personnages cherchant à plusieurs reprises à créer le téléphone idéal en combinant les meilleurs éléments. Or BlackBerry nous montre des hommes justement incapables de s’assembler les uns aux autres, pas fichus de s’écouter ou de se sourire les uns autres, incapables de parler autrement que par phrases creuses sorties d’Harvard ou de Star Wars. C’est souvent drôle, mais pas seulement.

Grand garçon naïf ou requin cynique, chacun des trois protagonistes possède une passion (la technologie, l’argent, la culture geek), qui le fait avancer mais qui l’obsède au point d’être incapable d’interagir avec le monde extérieur. BlackBerry met en scène trois manières différentes d’être un homme, mais une manière commune de foncer dans le mur à force de ne pas pouvoir grandir et se remettre en question. A rebours de l’héroïsation hollywoodienne anxiogène des entrepreneurs milliardaires, Matt Johnson pose sur l’ego malade de ses trois personnages un regard dédramatisant qui donne a l’ensemble un relief à la douceur bienvenue.

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par Gregory Coutaut

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