Critique : Azor

Yvan De Wiel, banquier privé genevois, se rend dans une Argentine en pleine dictature pour remplacer son associé. Celui-ci fait l’objet des rumeurs les plus inquiétantes, et a disparu du jour au lendemain. Entre salons feutrés, piscines et jardins sous surveillance, se prépare un duel à distance entre deux banquiers qui, malgré des méthodes différentes, sont les complices d’une forme de colonisation discrète et impitoyable.

Azor
Suisse, 2021
De Andreas Fontana

Durée : 1h40

Sortie : 12/10/2022

Note :

LE CODE A CHANGÉ

Le monde dans lequel se déroule Azor est fait d’un luxe feutré, au raffinement un peu désuet mais nappé d’un curieux mystère, comme une langoureuse réception chez l’ambassadeur. Dans des villas privées, au bord des piscines ou dans des salons très selects, les banquiers, leurs épouses et leurs clients évoluent dans un confort chuchoté et s’y comportent avec une discrétion d’un autre temps. A peine lèvent-ils un sourcil en se plaignant (sans rire) des « heures terribles » qu’ils vivent alors. Mais les verres en cristal ne contiennent que de l’eau, et chaque conversation est tartinée d’un small talk poli mais si vain qu’il cache forcément quelque chose.

A bien des égards, avec son rythme un peu lancinant, Azor ressemble à film policier d’antan. On y chuchote et espionne à qui mieux mieux, on y croise des personnages aux noms impossibles (Bijou, Macho), et on y entend çà et là un étonnant patois (Suisse ? Aristocrate ? Bancaire ?) qui ressemble à un langage codé venu d’ailleurs. Un code que l’on retrouve dans le titre même du film. Azor, c’est « fais bien attention à ce que tu dis ». Azor se déroule dans le milieu des banquiers d’affaires, un univers où le secret est fondamental. Pourtant, le film se déroule très loin des guichets bancaires, privilégiant les propriétés les plus cossues de l’Argentine des années 80, celle de la dictature. La jungle et ses rebelles ne sont jamais loin et pourtant c’est comme si ces hommes et femmes privilégiés vivaient sous cloche. Tout juste y concède-t-on, l’air de ne pas y toucher, que « le pays a besoin de réformes ».

Le confort a ses limites. Dans cet univers très masculin, les femmes sont priées de dégager. On ne les invite pas à la confidence, on les confond avec d’autres femmes (le temps d’une scène troublante avec la charismatique Elli Medeiros), ou pire avec leurs maris. Restés entre eux, les hommes ont tout loisir de jouer dangereusement aux conspirateurs et aux conquistadors. Derrière le ton très policé de ces clubs masculins, où personne n’a évidemment les mains sales, se joue pourtant une relation ambiguë et coupable envers les figures de la dictature. Une ambivalence incarnée par Yvan De Wiel, protagoniste au charme insondable (Fabrizio Rongione, fidèle collaborateur des Frères Dardenne, ici looké comme Macron).

Il y a des cinéastes qui savent mettre en scène le mystère, mais combien parviennent à mettre en scène le secret ? Ruiz, Rivette, et désormais Andreas Fontana. Avec un univers comme en marge de l’agitation du monde réel, Azor est un drôle de film, toujours « au bord » de quelque chose, d’une révélation, mais qui garde tout son secret. S’approcher du cœur du mystère à pas de loup, plutôt que de le résoudre : singulière entreprise. C’est parfois frustrant, mais c’est aussi sacrément intrigant. Le film semble vivre sa propre vie en cachette. Comme un secret… bancaire.

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par Gregory Coutaut

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