TIFF 2022 | Critique : Atlantide

Daniele est un jeune homme de Sant’Erasmo, une île aux abords de la lagune de Venise. Il se débrouille pour gagner sa vie. Autour de lui, les autres garçons sont occupés par le culte qu’ils vouent au barchino (bateau à moteur). Daniele, lui aussi, rêve de barchino et de vitesse…

Atlantide
Italie, 2021
De Yuri Ancarani

Durée : 1h44

Sortie : –

Note :

PARADIS PERDU

Daniele, la vingtaine, vit sur une île champêtre à la périphérie de la lagune de Venise. Son quotidien sans histoire (aider aux champs, trainer avec les potes, draguer…) se déroule dans ce lieu pourtant presque irréel, un chapelet d’îlots luxuriants posés sur une mer sans limite, où l’on vit presque davantage sur l’eau que sur terre. Dans ce coin qui semble ne figurer sur aucune carte, la Cité des Doges n’est qu’une lointaine silhouette à peine reconnaissable à son Campanile, et les arrêts de vaporetto laissés à l’abandon ne risquent pas de voir débarquer le moindre touriste. C’est comme si pour ces jeunes, entièrement occupés à leur hédonisme, le monde réel et contemporain n’était qu’un vague écho au loin.

Dans cette bulle presque sortie d’un Miyazaki, Daniele et ses amis trainent leur farniente d’ado. Ce ne sont pas les murs qu’ils taguent mais les coques de paquebots titanesque. Ce ne sont pas des courses de motos qui les font vibrer mais celles, tout aussi dangereuses et illégales, des barchini. Ces embarcations locales tunées et pimpées par leurs soins leurs servent autant à narguer les autorités locales qu’à impressionner les filles. Loin des voyageurs, et en cachette des adultes, Daniele et les autres font de ce coin de nature leur terrain de jeu. Un lieu rêvé pour vivre un fantasme de jeunesse idyllique, où l’on fume, rit et fait l’amour sous un ciel rose pétard, où l’on se prend pour des cowboys au soleil couchant, où chaque instant ressemble à une image d’Epinal. Une vie coupée du monde, sans attache et sans lendemain, comme dans une version spring break de Sa majesté des mouches.

Comme dans son précédent film, le déjà formidable The Challenge (présenté à La Roche-sur-Yon en 2016) l’ Italien Yuri Ancarani transforme les rituels quotidiens d’initiations masculines en quelque chose de proprement magique et hypnotisant, grâce à un style unique. Ancarani ne se contente pas de flouter la frontière entre documentaire et fiction, il fait des pas de géants englobant d’autres grammaires visuelles, empruntant au clip, à la photo de mode et à l’art vidéo, pour donner à ses images un pouvoir de fascination sans pareil. Dans ce film quasi dépourvu de dialogues, les images sont en effet le moteur d’une embarcation cinématographique elle-même customisée. Elles sont notre guide dans cette hypnotisante promenade en apesanteur . A nous de plonger dedans.

La beauté d’Atlantide finit par donner lieu à poignant vertige. Comme si ce monde-là était trop parfait pour être vrai, trop beau pour exister encore longtemps. Le titre fait référence à la ville de Venise qui menace année après année d’être définitivement engloutie par les eaux, mais c’est surtout le continent perdu de la jeunesse et de l’innocence. C’est peut-être là le sens de la superbe séquence finale, où la caméra pénètre enfin dans les canaux vénitiens, et où une présence spectrale parait planer avec mélancolie sur la ville. Le passé et le présent se superposent alors sans se rencontrer, la jeunesse passe comme dans un rêve et disparait sans rien déranger des vestiges autour d’elle, comme s’il elle n’avait jamais existé.

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par Gregory Coutaut

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