Critique : Apolonia, Apolonia

Lorsque la réalisatrice danoise Lea Glob commence à filmer la peintre Apolonia Sokol, il ne devait s’agir que d’un exercice d’école de cinéma. Le portrait filmé s’est finalement tourné sur treize années pour se muer en une épopée intime et sinueuse, celle d’une jeune femme artiste, depuis sa vie de bohème au cœur du théâtre du Lavoir Moderne que dirigent ses parents, jusqu’à son ascension dans le milieu de l’art contemporain, en passant par ses études aux Beaux-Arts de Paris. Mais en miroir d’Apolonia, ce sont aussi les destins d’Okasana Shachko, l’une des fondatrices des Femen, et de la réalisatrice, qui se dessinent. Une sororité à trois faces, à l’épreuve du monde d’aujourd’hui.

Apolonia, Apolonia
Danemark, Pologne, France, 2022
De Lea Glob

Durée : 1h56

Sortie : 27/03/2024

Note :

DOUBLE JE

Apolonia, c’est l’artiste plasticienne française d’origine danoise et polonaise Apolonia Sokol. Mais lorsque le film débute, son nom de famille n’est pas encore célèbre. Nous sommes alors en 2009 et elle n’a pas encore été citée en couverture de Beaux-Arts magazine ni fait scandale sur les réseaux sociaux en mettant en scène la décapitation fictive de la terf Marguerite Stern. A l’époque, elle n’est encore qu’Apolonia, une étudiante vivant parmi une communauté d’artistes dans le théâtre fondé par son père. La réalisatrice danoise Lea Glob la filme alors dans son quotidien, dans ses inspirations artistiques et politiques, dans ses désillusions, sans se douter qu’elle va accumuler les rushes pendant près de treize ans.

Apolonia est doublement présente dans le titre de ce documentaire fleuve primé dans de nombreux festivals, mais qui est-elle réellement ? « Elle était familière et inconnue à la fois », confie la réalisatrice pourtant très proche de sa protagoniste. La première partie d’Apolonia, Apolonia n’est pas sa plus fascinante. Sans doute, d’une part, parce que la vie de la jeune fille n’a pas encore pris les virages inattendus qui vont l’amener à quitter le quartier de Chateau Rouge pour fréquenter aussi bien les Femen exilées que les riches galeries d’art de Los Angeles. Ce n’est pas le sujet principal du documentaire, mais Lea Glob parvient à dresser un portrait réaliste et sans fantasmes de la vie d’artiste, là où le cinéma caricature encore trop souvent le monde de l’art contemporain. Mais si le film trouve son relief progressivement, c’est aussi pour une autre raison.

Apolonia est présente dès le titre et dès les premières images, mais c’est au contraire la voix de Lea Glob qui accompagne ces dernières. C’est peut-être le premier indice qu’Apolonia, Apolonia peut également se lire non pas comme un autoportrait, mais comme un témoignage parallèle d’une autre artiste à l’œuvre : la cinéaste elle-même. Lea confie parfois son interrogation face au parcours chaotique de son amie et donc de son film, or ce sont ces questionnements qui viennent paradoxalement dire les choses les plus émouvantes. La cinéaste l’exprime d’elle-même dans une conclusion puissante : « Je connaissais ce que je filmais mais je n’avais aucun contrôle dessus car mon sujet bougeait tout le temps. Il m’a fallu treize ans pour comprendre que ma caméra était en fait braquée sur la vie elle-même ».

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article