TIFF 2024 | Critique : 3 kilomètres jusqu’à la fin du monde

Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer.

3 kilomètres jusqu’à la fin du monde
Roumanie, 2024
De Emanuel Parvu

Durée : 1h43

Sortie : 23/10/2024

Note :

VERS LA LUMIÈRE

Trois kilomètres, c’est la distance qui sépare la bourgade roumaine où se déroule ce film de la Mer Noire. Petit coin de paradis placide et baigné de soleil, cette région du Delta du Danube évoque davantage la Camargue que les paysages urbains gris et anxiogènes auxquels le cinéma de la nouvelle vague roumaine nous a habitués. La saison estivale attire quelques touristes dans ce village si isolé qu’on ne peut y accéder et en partir qu’en bateau. Ces visiteurs citadins sont souvent moqués par les habitants du cru à la mentalité insulaire de ceux qui savent tout mieux que les autres, à commencer par les traditions et les apparences à ne pas déranger. Derrière ses champêtres apparences et ses paysages sans fin, ce coin de nature sentirait plutôt le renfermé. Est ce vraiment l’horizon qui se trouve à trois kilomètres à peine ?

Le récit débute de nuit, par une ellipse : l’agression homophobe sans témoin dont est victime Adi, 17 ans, alors qu’il était en compagnie d’un touriste de son âge. De cette séquence nous ne verrons rien : comme tous les autres personnages du film, nous découvrons seulement le visage tuméfié d’Adi le lendemain. Chose étonnante, les coupables sont vite identifiés et avouent sans réelle honte. Pourtant, les ennuis ne font que commencer. Le problème d’Adi devient progressivement un problème pour tout le monde : ses parents cachent mal leur malaise face à la révélation de l’homosexualité de leur fils tandis les notables de la ville ont toute autorité pour minimiser les actes des agresseurs afin de ne pas faire de vagues. Quant aux représentants de l’Eglise, ils placent l’immoralité du côté de la victime, malgré leurs formules bienveillantes. C’est une réaction en chaîne infernale qui se met progressivement en marche autour d’Adi, que d’ailleurs personne ne pense à écouter.

Lors de la présentation du film au Festival de Cannes où il était présenté en compétition officielle, certains observateurs queer ont pu être surpris par la structure narrative du film qui se focalise davantage sur les réactions des villageois tous plus ou moins homophobes plutôt que sur le ressenti de l’unique personnage gay. Comme l’explique le cinéaste (hétéro) Emanuel Parvu dans l’entretien qu’il nous a donné, c’est là une démarche sciemment réfléchie. Davantage qu’un film sur la particularité du vécu queer en Roumanie ou ailleurs, 3 kilomètres est une parabole qui utilise l’homophobie comme métaphore d’une société conservatrice prête à torturer ses propres enfants au nom de la tradition. Une formule intelligente qui peut d’ailleurs rappeler un autre film queer récent signé d’un cinéaste hétéro : Burning Days, du Turc Emin Alper (lire notre entretien).

Dans un premier temps, l’injustice éprouvante et très réaliste de la situation peut laisser craindre un retour convenu vers un certain cinéma queer doloriste des années 90. Parvu parvient heureusement à élargir l’horizon du film à plus d’un titre. Drame humain au suspens solide et efficace, tout à fait dans le style des réussites de Cristian Mungiu, 3 kilomètres se distingue aussi par son traitement visuel et notamment son remarquable travail sur la lumière. Plus le récit progresse, plus celle-ci vient traduire la grâce qui est à portée de main de celles et ceux qui sont trop aveugles pour la voir.

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par Gregory Coutaut

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