L’artiste française Cyrielle Gulacsy a signé l’affiche de la 15e édition du Festival de La Roche-sur-Yon. Le pointillisme de sa peinture, dont la toile originale est exposée durant le festival, « représente un dégradé vibrant de lumière tel qu’on le perçoit lors d’un lever ou d’un coucher de soleil. De près la toile s’anime dans chaque détail, photon après photon, et l’insaisissable prend corps ». Cyrielle Gulacsy, dont l’œuvre est exposée cette année dans le cadre du Armory Show à New York ou au Musée d’Orsay, a répondu à nos questions, évoquant ses influences et son goût en matière de cinéma.
Comment est née cette collaboration avec le Festival de La Roche-sur-Yon autour de cette affiche ?
J’avais participé à une exposition d’un autre artiste au Cyel il y a cinq ou six ans, c’est comme ça que j’avais rencontré Charlotte Serrand. J’ai eu ensuite l’occasion de la recroiser à d’autres festivals, notamment à la Quinzaine des Réalisateurs quand elle travaillait avec Paolo Moretti. Elle suit beaucoup mon travail qui se trouve être très axé sur la lumière, le lien avec le cinéma s’est fait ainsi et c’est comme ça que l’on est devenues amies. Cela m’a fait très plaisir de créer une œuvre exprès pour le Festival.
Tu cites la science comme principale source d’inspiration de ton travail, comment cela s’opère-t-il ?
Mon travail n’est pas influencé par des images, des visuels ou d’autres œuvres d’art. Je pars vraiment de concepts et ces derniers peuvent concerner la physique, la biologie ou encore l’astrophysique. La première chose qui m’intéresse est toujours la description d’un phénomène scientifique que je vais ensuite essayer de retranscrire. Suivant le phénomène sur lequel je travaille (l’espace-temps, un infiniment grand), l’objet, le matériau que j’utilise va être différent (bois, peinture, photo…). Quand je lis des revues scientifiques, je trouve que le langage parfois peine à décrire ces phénomènes-là. En étant davantage de l’ordre du sensible, les images peuvent s’abstraire du langage. Là où les mots peuvent échouer à décrire ce réel invisible, la peinture et le cinéma peuvent nous le faire ressentir.
Le cinéma est-il parfois une source d’inspiration artistique pour ton travail ?
Le cinéma est une source d’évasion mais je ne dirais pas que ça influence mon travail. C’est un médium qui m’intéresse, peut-être que je finirai par l’utiliser si j’estime un jour qu’il s’avère être le plus à même d’illustrer un phénomène qui m’intéresse. Mais c’est déjà quelque chose qui prend beaucoup de place dans ma vie car je suis très cinéphile.
Qui sont les cinéastes qui te parlent le plus ?
C’est évidemment très convenu mais j’adore David Lynch. Je regarde également beaucoup de science-fiction. Depuis peu, je commence à regarder beaucoup de documentaires tels ceux de Frederick Wiseman. Récemment, j’ai vu un documentaire génial sur Lynn Margulis qui décrit avec justesse toute l’histoire de la symbiose. J’aime beaucoup l’animation aussi. Il y a des réalisateurs qui me laissaient plus de marbre au départ et qui de plus en plus me fascinent parce qu’ils se passent de mots, comme Tarkovski par exemple. Il y a un film qui m’a bouleversée récemment mais qui s’éloigne beaucoup de mon champ de travail de recherche, c’est Orfeo negro de Marcel Camus que j’ai regardé deux fois d’affilée alors que la mythologie, ce n’est pas forcément quelque chose à la base qui soit lié à mon travail.
Quand je vais à une exposition, ce ne sont pas forcément les œuvres que j’y vois qui vont me donner des idées, mais l’énergie qui découle d’elles pour me toucher. C’est cette énergie-là que je vais recycler en énergie de travail. Même chose pour les films. Par exemple ce matin au festival j’ai vu un documentaire sur l’architecture (Architecton, ndlr), cela m’a donné plein d’idées mais qui n’avaient rien à voir avec le film ou l’architecture. Si j’aime autant le cinéma c’est qu’il m’apporte une énergie de création, cela met en route mon imaginaire.
Le fait que ton travail tourne souvent autour de la lumière t’amène t-il à poser un regard particulier sur cet aspect des films que tu regardes ?
Oui. Le dernier film où cet aspect m’a beaucoup marquée c’est Paris Texas, que j’ai revu à New York il n’y a pas longtemps. Il y a quelque chose dans le traitement de la lumière que je trouve assez fou. A force de contrastes et de clairs obscurs, les cieux y ont l’air complètement faux, on dirait des peintures d’Ed Ruscha. J’ai eu la chance de le voir sur grand écran, ça change vraiment le rapport à la dimension picturale des films. D’un coup, on est tout petit, c’est comme regarder l’univers. On est remis à notre place de spectateur tout fragile, et on est à la merci de l’image. Mais je n’aime pas tout analyser, je suis souvent très, très emportée dans les films et j’aime ne pas sortir de l’émotion pure.
Tu évoquais ton amour pour la science-fiction. Qu’est-ce qui te plait particulièrement dans ce genre ?
Je me dis qu’il y a un pari de matière. En fait, ce qui m’intéresse, c’est la manière dont les concepts sont transformateurs pour le spectateur. Or, le principe de la science-fiction, c’est souvent de nous remettre en question, de nous faire nous questionner sur notre libre-arbitre, nos choix, notre rapport au réel, et c’est exactement ce que j’essaie de faire. Par exemple j’aime beaucoup l’auteur Greg Egan, qui va prendre un vrai concept scientifique et se l’approprier pour le développer et le creuser d’une manière totalement différente. Moi qui essaie de ne pas mettre de subjectivité dans mes œuvres, la science-fiction m’apporte quelque chose qui est plus de l’ordre de l’imaginaire. La façon dont on crée des imaginaires dans le présent, ça a énormément d’impact sur le futur. Quand on voit des mecs comme Elon Musk qui ont été biberonnés à la science-fiction, on se dit que s’ils avaient lu de la science-fiction qui avait plus les pieds sur terre, ça leur est aurait peut-être donné envie d’avoir des avenirs différents.
Ici à La Roche, j’ai aimé la subtile ambiguïté du film Par Amour. Ça m’a beaucoup fait penser aux films de Jeff Nichols, Take Shelter et Midnight Special, que j’adore. On n’est même pas vraiment certain de regarder un film de genre. On s’attend à un truc social sur le déchirement d’une famille mais il y a un peu ce truc qui nous titille. Est-ce que c’est de la science-fiction, est-ce que c’est pas de la science-fiction ? J’ai beaucoup aimé cette hésitation. Cette sensation d’être déstabilisé, c’est quelque chose qu’on ressent trop rarement devant l’art alors que cela invite à penser très fort à l’effet que nous procure ce qu’on est en train de voir. C’est hyper important car il y a trop d’œuvres qui ne nous marquent pas, qui ne nous donnent aucune émotion. Il n’y a rien de pire que quelque chose qui ne nous laisse aucune trace.
Au cinéma, le milieu de l’art contemporain est souvent représenté de façon caricaturale. As-tu en tête des exemples de films proposant des descriptions plus justes?
Le dernier que j’ai vu là-dessus c’est Showing Up de Kelly Reichardt, que j’ai trouvé vraiment très réaliste. Cet espace où plein d’artistes partagent leurs ateliers tout en restant dans leur bulle, c’est si juste qu’on dirait que le film se situe entre documentaire et fiction. A la base, je ne viens pas des ateliers d’artistes, j’ai pas fait d’école et c’est un milieu qui me fascine comme si je n’en faisais pas réellement partie. J’ai encore parfois l’impression d’observer comme un spectateur pas du tout initié, et j’ai adoré retrouver ce regard-là dans ce film.
J’ai également aimé Niki qui, contrairement à d’autres films, ne victimise pas les femmes artistes en les réduisant aux difficultés qu’elles rencontrent. C’est bien sûr compliqué de rester artiste quand on devient mère et qu’on se retrouve en quelque sorte avec un deuxième job. Aucune œuvre n’est montrée, le film ne montre jamais son travail et se focalise sur les émotions qui la lient à son œuvre. Cela donne énormément de force à ce personnage qui décide de faire ses propres choix et de se battre car c’est vital. Charlotte Le Bon est géniale dans ce rôle, j’ai adoré en fait. Quand on est artiste, on a beau avoir envie de vivre de ses œuvres, on est obligé de jouer le jeu du marché de l’art. On peut tenter de garder du recul par rapport à ça, mais on peut pas l’ignorer, c’est impossible de s’en exclure entièrement. Le film montre aussi comment elle est confrontée à cette question et ça m’a semblé être très juste.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 16 octobre 2024. Un grand merci à Estelle Lacaud. Source portrait.
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