Critique : All We Imagine As Light

Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.

All We Imagine as Light
Inde, 2024
De Payal Kapadia

Durée : 1h54

Sortie :  02/10/2024

Note :

ENTRER DANS LA LUMIÈRE

L’Indienne Payal Kapadia (lire notre entretien) a été révélée dès son premier long métrage intitulé Toute une nuit sans savoir, qui a été repéré en 2021 à la Quinzaine avant de sortir dans les salles françaises. Toute une nuit sans savoir était un superbe ovni mêlant documentaire, essai poétique et film expérimental. La fiction All We Imagine as Light est assez différente – la narration menée par Kapadia y est plus traditionnelle, même si la beauté poétique de son cinéma ne s’est nullement diluée.

La caméra, dès le début d’All We Imagine as Light, circule dans les rues. C’est une ambiance nocturne et colorée, soulignée par la beauté de la photographie signée Ranabir Das. La manière qu’a Kapadia de filmer la ville offre un cadre remarquable autour des protagonistes. Dans Toute une nuit sans savoir, la réalisatrice allait du personnel au collectif, des lettres d’amour à un mouvement de révolte. Le personnel et le collectif se rencontrent immanquablement dans All We Imagine as Light, où l’on narre des existences secrètes mais on ne peut jamais totalement isoler celles-ci de la ville surpeuplée habitée par les personnages.

On écoute donc attentivement les voix et les témoignages. On ausculte, et l’on s’ausculte soi-même. On s’habitue à l’instabilité tandis que les jours et les nuits pourtant défilent. Un spectre viendra-t-il nous rendre visite lorsque le soleil se sera couché ? Payal Kapadia dépeint la nuit comme un espace de liberté où se font les confidences les plus intimes. Un moment plus silencieux où l’on entend mieux le pouls fragile des héroïnes. La nuit est un lieu à soi : on y écrit des poèmes, on regrette de ne pas avoir le droit d’être en colère ou de ne pouvoir échapper à son destin – ainsi, la nuit permet d’imaginer une lumière.

All We Imagine as Light entretient des liens inconscients avec un autre film magique découvert en 2024 : Cidade ; campo de la Brésilienne Juliana Rojas, primé à la dernière Berlinale. Deux films de sororité où les hommes sont peu ou pas présents, deux films où la ville puis la campagne viennent illustrer ce qui peut unir les personnages, ce que l’environnement change en nous. Qu’est-ce qui, dans All We Imagine as Light, sort de la nuit en même temps qu’on sort de la ville ? Le segment rural offre une respiration différente aux héroïnes. Le décrochage lors de la magnifique scène dans une grotte où des visages apparaissent dans la pierre ressemble à une scène d’un Apichatpong Weerasethakul, où les contes et légendes s’invitent dans le quotidien.

Kapadia dépeint avec un regard d’une riche humanité ce qui lie ses héroïnes, ce qui nous lie tout court. Elle examine tous les possibles, notamment ceux des amoureux secrets. Les gestes sont parfois craintifs, comme lors de cette scène où un caillou est jeté timidement en représailles contre un panneau. On détale et on en rit. La réalisatrice parvient à signer un film chaleureux sans que celui-ci ne soit mièvre, elle filme quelque chose de réaliste mais la poésie de son point de vue semble proche d’un basculement fantastique. C’est la grande beauté de ce film qui propose un visage du cinéma indien qu’on voit peu – et qui est paradoxalement assez facile d’accès. Atterri semble-t-il par hasard dans la compétition cannoise (la réalisatrice a indiqué elle-même avoir été invitée initialement et jusqu’au dernier moment à Un Certain Regard – confirmant malgré elle la légendaire phobie de Cannes pour les jeunes talents dans sa compétition), All We Imagine as Light a reçu le Grand Prix. Une distinction qui, on l’espère, portera cette précieuse merveille vers le plus large public possible.

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par Nicolas Bardot

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